« Un soir, peu après mon dixième anniversaire alors que j’avais reçu de nombreux coups et que je n’avais pas eu le droit de diner, mon père a décidé que je n’irai pas me coucher sans une dernière punition. Il m’a emmené dans la cuisine et m’a fait asseoir à table. Il a ensuite pris une assiette et y a mélangé de l’omelette froide, un yaourt, du pain, de l’eau et de la salade. « Tu n’iras pas te coucher tant que tu n’auras pas tout mangé. Y compris la sauce. » J’ai alors osé me tourner vers lui, entre bravade et désespoir. Je lui ai demandé en larmes ce que je lui avais fait pour mériter de souffrir comme il me faisait souffrir.
Même Haydn, notre berger allemand était mieux traité que moi. Mon père m’a répondu froidement en me regardant droit dans les yeux : « Tu es pire qu’un chien ».
EXTRAIT DE « LA DEMESURE »
« Être privée de nourriture, battue des années durant, être enfermée, vivre une solitude écrasante au point de craindre chaque week?end pour sa vie, travailler, travailler encore, travailler toujours pour briller et jouer les artistes prodiges en public tout en gardant le secret sur l’horreur de l’intimité de sa vie familiale. Et le silence autour. Assourdissant. La vie d’une enfant esclave. Pas une enfant du bout du monde qui travaillerait du matin au soir à nouer des tapis, transporter des briques ou des paniers de sel. Pas une enfant d’émigrés vendue à une riche famille étrangère qui l’exploiterait comme cendrillon à tout faire. Non, une enfant d’ici, une fille de notable. Double contraste scandaleux qui met à mal les images d’Épinal qui sont celles de l’esclavage infantile à l’autre bout du monde et de l’ordre moral supposé de la respectabilité bien de chez nous. Comment suspecter l’horreur de la servitude sous les atours de l’excellence. L’exigence absolue de la perfection qui devient justification de tous les excès et de tous les abus et qui mystifie l’entourage d’autant plus facilement que cette esclave n’est pas affectée à une tâche de souillon mais à une production artistique réservée aux élites. » DANIEL ROUSSEAU
CELINE RAPHAEL est née en 1983 et a vécu la majeure partie de son enfance dans un petit village du centre de la France. A l’âge de deux ans, son père, diplômé de Sciences Po, major d'une grande école d'ingénieurs et directeur d'usine, la met au piano : le don qu’elle révèle pour cet instrument pousse les professeurs de piano successifs et son père à vouloir faire d’elle un prodige. La machine infernale est lancée et les sévices se multiplient au fur et à mesure que la petite fille gagne les concours de piano. : "Il voulait la perfection, raconte Céline. Je savais qu'au bout de tant de fautes, j'allais avoir tant de coups de ceinture. Tout se passait dans le silence."
Personne ne lui vient en aide. C’est l’intervention d’une infirmière scolaire à son entrée dans un lycée de la région parisienne qui lui sauvera la vie. Suite à un signalement judiciaire ainsi qu’à une condamnation de son père pour maltraitance, elle est placée dans un foyer de l’Aide Sociale à l’Enfance. Aujourd’hui interne en médecine, elle souhaite briser le tabou de la maltraitance et milite pour une meilleure formation des professionnels de santé au repérage et au signalement des enfants victimes.
DANIEL ROUSSEAU est pédopsychiatre, notamment à l’Aide sociale à l’enfance dans le Maine et Loire. Il est l’auteur du livre « Les grandes personnes sont vraiment stupides » (Max Milo, 2010).
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