L'interne a fini ses 6 ans de médecine et débute une spécialisation.
Il travaille à temps plein pendant 3 à 6 années supplémentaires.
L'interne c'est celui ou celle qui vous voit tous les jours à l'hôpital, qui écrit vos comptes-rendus, prépare vos ordonnances de sortie. C'est l'interne qui est là la nuit pour régler les problèmes. C'est l'interne de spécialité que l'urgentiste appelle quand il a besoin d'un avis spécialisé. Parfois, c'est même l'interne qui vous opère, seul.
Nous ne critiquons pas cette autonomie, nécessaire à notre formation, mais l'utilisons pour illustrer notre statut de médecins, de salariés, de travailleurs indispensables du système de soins.
Nous sommes environ 35 000, nous représentons 40% de l'effectif médical public, mais peu savent notre importance en dehors du système de santé.
23% des internes ont déjà eu des idées suicidaires
28% de troubles dépressifs 66% de troubles anxieux
4% ont déjà fait une tentative de suicide
5 internes se sont suicidés depuis le 1er Janvier 2021. Un tous les 18 jours.
La COVID n'y a rien changé, mais il était difficile de faire pire.
Tout le monde se souvient du scandale de France Télécom il y a 10 ans, on avait l'impression d'une pluie de suicides. Il y en avait eu 35 pour 135 000 employés en un an. Nos collègues sont 10 à 20 par an à s'être donné la mort, pour 35 000 internes. Des taux 3 fois supérieurs depuis des années, dans l'indifférence la plus totale des pouvoirs publics.
Cette catastrophe n'est évidemment pas nouvelle, elle est le fruit d'un mal profondément enraciné.
D'aucuns diront que le métier est dur, que c'est normal. Personne ne niera les difficultés de rencontrer quotidiennement la Mort, la Maladie, la souffrance des familles ou la précarité. Mais avant de pointer du doigt des causes inchangeables, penchons-nous sur le système maltraitant qui, lui, peut-être modifié
Le temps de travail hebdomadaire est absurde.
Comment peut-on penser tenir, physiquement, psychologiquement, avec un tel rythme? Au bout de la semaine, les décisions deviennent difficiles, la qualité des soins baisse, nos réserves psychologiques et émotionnelles s'épuisent. Les internes à bout soignent mal les patients à leur tour. Nous sommes ainsi un des seuls pays à encore pratiquer des gardes de 24h sans sommeil alors qu'il est démontré qu'elles provoquent un excès de mortalité pour les patients. Que dire du repos de sécurité non respecté à l'issue de ces gardes pour encore 40% d'entre nous?
Harcèlement et violences se rajoutent à la fatigue. La parole commence à se libérer grâce à notre campagne #ProtegeTonInterne. Les témoignages pleuvent. Insultes, brimades, humiliations publiques. Témoins ou victimes, trop souvent la situation est considérée comme «désagréable mais normale».
J'ai plusieurs fois envisagé, en me rendant à l'hôpital en voiture, de tourner le volant brusquement ...
Témoignage 29
Au-delà de ce harcèlement "classique", on en retrouve d'autres impensables ailleurs: coups, lancer de foie en pleine figure, jet d'instruments chirurgicaux, gestes dégradants. Les comportements répréhensibles trouvent un terreau fertile en médecine. Mediapart a récemment rapporté la situation du service de gynécologie obstétrique du CHU de Poitiers. C'est un exemple parmi d'autres.
L'enquête de l'Association Nationale des Etudiants en Médecine (ANEMF) de Mars 2021 rapporte que 40% des étudiants ont été victimes de harcèlement sexuel, 15% d'une agression sexuelle, 2.8% d'un viol. Les faits de violences verbales et de harcèlement moral ne sont pas pris en compte dans cette enquête mais sont au moins aussi fréquents. Ces étudiants sont les futurs internes que nous sommes. Nous avons subi et subissons le même environnement.
L'impunité des fautifs est évidente. Le Centre National de Gestion qui gère les 60 000 praticiens hospitaliers et hospitalo-universitaires publics montrent que la chambre disciplinaire n'a été saisie que de 5 cas en 2018. Les plaintes ne sont donc pas traitées, voire même pas formulées.
La concentration des pouvoirs est en cause. Comme souvent en matière de harcèlement les agresseurs des internes sont souvent leurs supérieurs hiérarchiques. En médecine ils sont souvent à la fois supérieurs universitaires et hospitaliers, bref ils possèdent un contrôle total sur l'avenir de l'interne. Fuir ? Impossible. Le changement de ville est limité par une procédure exceptionnelle.
Alerter ? Les interlocuteurs à saisir connaissent et travaillent avec votre agresseur parfois depuis des décennies, pire peuvent être copains de promotion. La proximité - réelle ou supposée - de ceux-ci avec les agresseurs par leur appartenance au même groupe des personnels hospitalo-universitaires et des responsables hospitaliers induit une défiance des internes vis-à-vis de l'institution. La terreur des représailles l'emporte toujours : impossible de savoir à qui faire confiance.
La gestion des violences, des délits et des crimes est caricaturale au sein des établissements: nous n'avons connaissance d'aucune situation qui aurait été renvoyée vers le procureur. C'est pourtant une obligation légale; alors que nous sommes tous témoins de cette délinquance quotidienne, «le linge sale se lave en famille». (cf MidiLibre 12/04/21).
Les fléaux ne s'abattent jamais seuls et complètent un environnement professionnel dégradé : internats délabrés et insalubres, bureaux exigus voire inexistants, insuffisance des équipements numériques, vétusté des hôpitaux...
Suite au suicide de notre collègue Tristan en février 2021, le deuxième en moins d'un an dans la subdivision de Reims, nous avons sollicité d'Olivier Véran, Ministre de la Santé et des Solidarités, la réalisation d'une enquête par l'Inspection Générale des Affaires Sociales. Notre lettre du 23 Février 2021 est restée sans réponse. Le Ministre, ancien interne lui- même, de surcroît ancien porte parole de l'ISNI, n'a communiqué ni inquiétude ni soutien aux internes.
C'est qu'Olivier Véran avait mieux à faire. Il a su trouver une heure pour débattre lors d'une table ronde d'une fameuse école de commerce (Mardis de l'ESSEC, 23 Mars 2021). Une heure que les victimes, leurs familles endeuillées et les internes auraient apprécié.
Les internes dont il a la charge se tuent, Olivier Véran se fait interviewer dans une école de commerce. Le mépris est explicite.
L'HÔPITAL NOUS TUE. AIDEZ-NOUS À VIVRE.
Source : Enquête Sante Mentale ISNI (2017)
Florian Rodaro, interne en anesthésie-réanimation à Troyes puis à Reims, est décédé à l’âge de 26 ans le 28 février 2020.
Il avait subi et dénoncé, tant sur l’hôpital local qu’auprès de l’université, un harcèlement répété par un de ses chefs de service dans son précédent stage puis a manifesté tous les signes d’un syndrome d’épuisement professionnel que personne n’a voulu ou pu voir alors qu’il n’évoluait que dans un milieu de médecins internes et seniors.
Comment accepter que l’encadrement médical n’ait pu s’en apercevoir, comment accepter que ses co-internes n’aient rien fait, comment accepter que l’hôpital ait validé qu’il fasse autant de gardes, passant jusqu’à 88 heures hebdomadaires au centre hospitalier de Reims, où 3 décès en 5
ans de jeunes internes et de nombreux jeunes en souffrance sont à déplorer ? Quelles sont les mesures pratiques mises en place à Reims pour faire respecter les textes
en vigueur, à savoir 48 heures maximum de travail par semaine? A ces questions, nous exigeons maintenant des réponses et la mise en place immédiate de dispositifs efficaces de prévention du suicide chez nos internes.
L’ISNI, les Syndicats d’Internes et la LIPSEIM se sont engagés dans ce combat pour apporter un soutien efficace, le Dr Donata MARRA a remis un rapport,
il est temps maintenant d’avancer pour stopper cette hécatombe. Il en va de l’avenir de nos jeunes et de notre système de santé.
Nous avons conscience des difficultés sanitaires actuelles qui perdurent mais
cette urgence est réelle et l’autosatisfaction des personnes soi-disant compétentes est devenue inadmissible et criminelle.
Dans un grand CHU, un été, j’ai enchaîné 6 semaines à 100h [NDLR: par semaine], je m’amusais à compter, c’était parfois 102h, 97h… avec 1 jour off sur 27 jours roulant. J’étais dans un état psychologique précaire a posteriori.
Une fois durant ces semaines, en prenant le métro, comme dans un état second,
Je me suis dit que si je mourrais,
au moins tout s’arrêter[ait].
Et j’ai chassé cette idée de mon esprit. Et pour la première fois je me suis dit que le suicide pouvait arriver vite et être vraiment contextuel. Puis j’ai parlé une fois à une interne de ce stage et d’un chef en particulier, et elle m’a dit qu’elle y était passée aussi, que ça avait été horrible à vivre, qu’elle en rêvait encore la nuit (des mois après), que passer dans le quartier de l’hôpital c’était toujours [quelque chose], et je me suis dit qu’on aurait dû en parler sur le moment. Mais personne n’a rien dit, on attend toujours que ça passe mais on ne s’imagine pas que certains internes enchaînent des expériences comme celle-ci sur plusieurs stages et donc durant plusieurs années parfois.
Source : Enquête Sante Mentale ISNI (2017)
La première des violences c'est celle du temps de travail. Travailler beaucoup nous nous y engageons chaque jour, travailler trop c'est transformer un hôpital qui soigne en un hôpital qui tue. Voudriez vous être soigné par un médecin qui a travaillé 100h dans la semaine et termine une garde de 24h sans sommeil ?
Les autres personnels de l'hôpital bénéficient de ce décompte, élargissons le à tous.
"Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs."
Article 40 du Code de procédure pénale
Les faits de harcèlement moral ou sexuel, les violences et tout délit ou crime doivent être signalés au procureur de la République, les coupables doivent être punis, les complices par action ou omission aussi. L'ISNI se portera systématiquement partie civile et poursuivra acteurs et complices devant les juridictions compétentes.
En cas d'indices graves et concordants évocateurs de délits ou de crimes sur les personnes, les directions hospitalières, les agences régionales de santé, les universités et plus généralement toute autorité compétente ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires à faire cesser le trouble. Cela comporte la suspension immédiate des praticiens fautifs ou le retrait de l'agrément de stage.
L'omerta hospitalière s'explique simplement : cumul des pouvoirs, partialité des décisions, absence d'indépendance des instances exerçant le pouvoir disciplinaire. Nous demandons une cellule ad hoc, indépendante des établissements et facultés, copilotée par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et le Ministère de la Santé. Elle sera chargée de recevoir les situations préoccupantes, de protéger les victimes et de saisir les instances appropriées.
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