La mixité progresse dans le monde du travail, mais certains secteurs restent délaissés par les femmes. C'est la conclusion d'une étude de l'Insee datant de 2020, selon laquelle « l'évolution de la part de femmes est relativement lente dans les secteurs très investis par les hommes ». Parallèlement, poursuit l'auteure de l'étude, « les secteurs très féminisés s'éloignent de la parité, en se féminisant encore » - notamment dans le social (84% de femmes dans la région du Centre-Val de Loire), la santé (76%), l'enseignement (69%) ou la banque-assurance (62%). En tout, seuls 17% des métiers sont réellement mixtes.
Sans surprise, ce sont les métiers perçus comme « physiques », « techniques » ou encore « scientifiques » qui attirent le moins de candidates : BTP, Tech, automobile, etc. Or, comme le relève Véronique Lacour, directrice exécutif d'EDF en charge de la Transformation et de l'Efficacité opérationnelle, « si les femmes ne sont pas là pour construire le monde dans lequel nous serons tous immergés demain, nous nous privons de beaucoup de talents ». « Le regard féminin apporte de la diversité d'opinion pour façonner ce monde. C'est primordial », complète la dirigeante.
Susciter, chez les filles et jeunes femmes, l'envie de s'orienter vers des métiers techniques est en effet primordial, les femmes représentant un vivier de talents que doivent séduire les entreprises, dont les besoins en recrutement n'ont jamais été si élevés. La filière nucléaire française en sait quelque chose, elle qui doit, pour mener à bien la construction des dix nouveaux réacteurs promis par Emmanuel Macron et assurer l'entretien et la rénovation des réacteurs existants, recruter de 10 000 à 15 000 personnes par an d'ici à 2030 - soit 80 000 nouveaux collaborateurs. En d'autres termes, un salarié sur deux qui travaillera dans la filière en 2030 n'y est pas encore entré.
Alors que le nucléaire a, au cours des dernières décennies, souffert d'une image dégradée et d'un désinvestissement politique, Olivier Bard, le délégué général du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) estime qu'il « faut faire redécouvrir nos métiers techniques et leurs avantages dans une industrie qui s'inscrit pleinement dans les grands enjeux sociétaux ». Même son de cloche dans le secteur du numérique, où près de huit entreprises sur dix (79%) rencontreraient des difficultés de recrutement : « la formation et l'attractivité des filières doivent constituer une priorité pour contrer la pénurie des compétences techniques et répondre aux enjeux d'innovation des métiers du secteur », selon le principal syndicat du secteur.
Les métiers techniques, scientifiques ou industriels ont besoin de femmes. Si le constat ne fait pas débat, la question reste entière : comment féminiser des métiers historiquement très masculins ? Alors que les préjugés vis-à-vis de certains métiers restent tenaces - « l'usine, c'est sale » -, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à aller à la rencontre des futurs candidats et candidates, notamment les plus jeunes. « Nous ne pouvons nous permettre d'attendre que les femmes viennent à nous. Nous allons les chercher », abonde Elisabeth Rasmussen, DRH de Spie France et porte-parole de So'Spie Ladies, un réseau de sensibilisation à la mixité.
Véronique Lacour : « Nous avons besoin d'elles »
Passer outre les idées reçues et stéréotypes en allant vers un public féminin, c'est justement la mission que s'est confiée l'association « Elles bougent ». Multipliant les initiatives auprès des jeunes filles, l'association met en avant les carrières scientifiques et technologiques, en s'invitant dans les établissements de formation. Ainsi, 22 000 collégiennes et lycéennes ont pu, début décembre, écouter le témoignage de quelque 1 700 hommes et femmes travaillant dans l'industrie. Une démarche que soutient EDF depuis 2011, l'électricien pouvant s'appuyer sur ses 538 marraines « Elles bougent » pour sensibiliser les plus jeunes aux carrières scientifiques.
L'initiative est soutenue au plus haut niveau du groupe. « J'ai envie de dire aux jeunes femmes que le monde de l'industrie est passionnant, que le monde du numérique est passionnant, et que la combinaison des deux apporte des opportunités exceptionnelles dans des environnements en mouvement et très innovants. Et j'ai tout simplement envie de leur dire que nous avons besoin d'elles », s'enthousiasme ainsi Véronique Lacour. L'objectif est aussi de présenter la diversité des métiers concernés. Comme le rappelle Aline Aubertin, la présidente de Femmes Ingénieures, « il n'y a pas un métier d'ingénieur, mais une ribambelle de métiers différents. Ce qui ne facilite pas leurs représentations auprès des jeunes ».
Des filles et jeunes femmes qui, bien souvent, s'auto-censurent dès que leur orientation professionnelle est en jeu. Une enquête menée cette année par l'IESF (Société des ingénieurs et scientifiques de France) relève que les principaux freins à l'accès des femmes aux métiers de l'ingénierie résident dans l'image trop masculine des métiers en question (47%), dans la crainte d'un éventuel « plafond de verre » (42%) ou encore dans l'image « trop industrielle » (30%) de ces mêmes métiers. Le résultat de ces idées reçues est sans appel : aujourd'hui encore, les écoles d'ingénieurs ne comptent que 28% de filles dans leurs effectifs, « un chiffre qui n'a pas bougé depuis 2013 alors qu'il progressait de manière constante les quarante années précédentes », regrette Philippe Dépincé, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs.
Le défi du recrutement féminin est d'autant plus grand que la France ne diplôme, chaque année, que 38 000 nouveaux ingénieurs, quand il lui en faudrait 60 000, toujours selon l'IESF. Toutes les initiatives sont donc les bienvenues pour tenter de féminiser les métiers encore boudés par les femmes. Dans les quartiers prioritaires, l'association « Les DesCodeuses » propose ainsi aux habitantes de se former à la maîtrise du code informatique, une compétence, là aussi, très largement sous-investie par les femmes. Ainsi de cette ancienne sage-femme qui reconnaît que « pour (elle), c'était un métier pour des gens très scientifiques. Ça ne (lui) semblait pas adapté ». Un préjugé en moins.