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Réforme des retraites : une étude ifop sur l'état de l'opinion

L’état de l’opinion à l’égard de la réforme des retraites : le point à l’ouverture du débat parlementaire

Publié le 07 septembre 2010

Depuis le lancement du débat sur les retraites, les Français portent des jugements ambigus tant sur les pistes de réforme proposées que sur les intentions du gouvernement. L'opinion navigue en effet entre deux sentiments : d'abord celui de l'inéluctabilité d'une réforme dont on pressent que son report aurait de lourdes conséquences financières pour la nation, le contexte financier international et européen ayant renforcé les inquiétudes ; ensuite celui d'une prise en compte insuffisante par le gouvernement des exigences de justice sociale, freinant l'acceptabilité de la réforme envisagée.


Les résultats des dernières enquêtes d'opinion réalisées à la veille du mouvement social et du début de l'examen parlementaire du projet gouvernemental confirment les tiraillements des Français et leurs difficultés à se positionner sur ce sujet complexe. Quelques évolutions révélées par ces récents sondages laissent cependant poindre la perspective d'une radicalisation de l'opinion. La fragilité du positionnement des Français sur la question des retraites renvoie par ailleurs à leur désarroi quant aux évolutions économiques et sociales du pays et à la capacité de la classe politique à y faire face.

1. Un soutien toujours majoritaire à la démarche de réforme


Une enquête réalisée par l'Ifop pour Dimanche Ouest France1 traduit à plusieurs égards un soutien de l'opinion s'agissant de la volonté affirmée par le gouvernement de s'attaquer dès aujourd'hui au problème du financement des retraites. Ainsi, 70% des personnes interrogées considèrent que le gouvernement est « responsable vis-à-vis des générations à venir », soit un score à la fois en nette progression par rapport à la dernière mesure réalisée en juin 2010 (+12 points), et majoritaire dans toutes les catégories politiques. L'argument maintes fois utilisé par le gouvernement d'une réforme menée aujourd'hui pour assurer la pérennité du système des retraites demain semble donc avoir trouvé un écho assez large dans l'opinion.


Très attachés au système de retraites par répartition, les Français sont majoritairement persuadés (57%) que le gouvernement est déterminé à le maintenir. De ce point de vue, les jugements sont moins favorables qu'en juin2 (61%) mais restent majoritaires et s'avèrent davantage clivés : la sincérité de la démarche gouvernementale est perçue par 68% des sympathisants de droite et 48% de ceux de gauche.


Enfin, 53% des interviewés estiment que le gouvernement est « courageux dans ses choix », un score en hausse par rapport à juin (48%), nettement plus élevé sans surprise parmi les proches de l'UMP (82%), mais non négligeable au sein du peuple de gauche (41%).

L'opinion est donc favorable à la démarche gouvernementale de réforme et ne doute guère du sérieux de ses intentions. De ce point de vue, si la réforme est votée dans de bonnes conditions, Nicolas Sarkozy pourra utilement la mettre au crédit de son volontarisme politique et asseoir son image de réformateur du pays en vue de 2012.

1 Enquête Ifop pour Dimanche Ouest France réalisée par téléphone du 2 au 3 septembre 2010 auprès d'un échantillon de 957 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
2 Sondage réalisé en ligne par l'Ifop pour Le Figaro auprès d'un échantillon de 1002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, du 18 au 22 juin 2010


Un sentiment d'injustice grandissant et le risque d'une radicalisation de l'opinion

2. Un sentiment d'injustice grandissant et le risque d'une radicalisation de l'opinion


Dans ce contexte de bienveillance à l'égard de la volonté réformatrice du gouvernement, des doutes de plus en plus forts s'expriment cependant quant à sa capacité à intégrer les exigences de justice sociale. Manifestement, les Français considèrent que leur souhait de concertation et de prise en compte de la pénibilité ne sont pas assez entendus par l'exécutif.


Ainsi, seuls 31% d'entre eux estiment que le gouvernement est « ouvert au dialogue », 33% qu'il est « juste dans ses choix », et 38% qu'il est « attentif aux questions liées à la pénibilité de certains métiers » (-2 points par rapport à juin). Sur ces dimensions cruciales pour l'acceptabilité de la réforme par les Français, les scores ne progressent pas par rapport à la dernière enquête, et pis, sont minoritaires parmi toutes les catégories politiques, à l'exception des sympathisants de l'UMP.
Dans ce contexte, deux indicateurs majeurs traduisent un risque de radicalisation au sein de l'opinion.


On observe d'abord un soutien assez net au mouvement social organisé par les syndicats. 70% des Français interrogés par l'Ifop pour Dimanche Ouest France considèrent ainsi que les manifestations du 7 septembre sont justifiées, 34% estimant même qu'elles le sont « tout à fait ». La légitimité accordée à la démarche syndicale est majoritaire dans toutes les catégories socioprofessionnelles et politiques, en dehors bien entendu des sympathisants UMP. On relève néanmoins que ces derniers sont plus d'un tiers (34%) à soutenir la manifestation. Remarquons par ailleurs que les proches du Front National (parti peu enclin à soutenir les initiatives syndicales) se montrent particulièrement favorables à ce mouvement social (70%).

Alors que la protestation et son soutien par l'opinion avaient connu au printemps 2010 une lente
montée en puissance, il apparaît en cette rentrée qu'une part conséquente de la population ressent le
besoin d'exprimer son mécontentement. L'affaiblissement politique du chef de file de la réforme des
retraites, Eric Woerth, touché depuis le début de l'été par une succession de polémiques dont de
récents rebondissements, contribue certainement à asseoir la légitimité des mouvements d'opposition à
la réforme. Un sondage Harris Interactive3 révéle d'ailleurs que 60% des Français pensent qu'Eric
Woerth ne devrait pas demeurer le ministre en charge de cette réforme.


Autre point au coeur de l'acceptation par les Français de la réforme proposée par le gouvernement, la
question d'un recul progressif de l'âge de départ à la retraite à 62 ans suscite en cette rentrée des
réactions plus mitigées qu'avant les vacances. En effet, l'étude menée par l'Ifop pour Dimanche
Ouest France montre que seuls 53% des personnes interrogées soutiennent ce report, contre 58% en
juin (-5 points). Plus inquiétant, on note un raffermissement de l'opposition à cette mesure phare :
30% des Français considère désormais qu'elle est « tout à fait inacceptable », contre 23% en juin.

Alors que l'exercice de persuasion de la part du gouvernement sur le recul de l'âge de la retraite
semblait commencer à fonctionner, on constate en cette rentrée que l'opposition progresse. Autre
signal d'inquiétude pour l'exécutif, les soutiens à cette mesure se cantonnent désormais à quelques
catégories très spécifiques de la population, en réalité celles qui seront les moins frappées par les
conséquences du projet gouvernemental : les personnes âgées (elles-mêmes déjà pour la plupart à la
retraite), qui sont 70% à accepter le recul de l'âge de départ, les CSP+ (et notamment les cadres et
professions libérales, chez qui le départ est bien souvent dans les faits plus tardif, approuvent le recul à
65%). En revanche, les tranches d'âge intermédiaire (acceptation minoritaire de 25 à 64 ans) et surtoutles catégories populaires (36% chez les employés et 38% chez les ouvriers) sont très nettement défavorables au report de l'âge de départ en retraite. Nul doute qu'au sein de ces catégories le sentiment d'une prise en compte insuffisante de la pénibilité des métiers joue en défaveur de l'acceptation de la réforme.

D'un point de vue politique, l'opposition est manifeste à gauche (39% seulement des proches de la gauche jugent le recul à 62 ans acceptable), mais aussi très ferme parmi les sympathisants du Front National, ce qui confirme le mouvement de radicalisation de cette partie de l'électorat déjà observé dans d'autres enquêtes : 53% des sympathisants frontistes s'opposent au recul de l'âge de départ à la retraite, dont 43% disent qu'il est « tout à fait » inacceptable. Seuls les proches de l'UMP (85%), du Modem (71%) et dans une moindre mesure des Verts (53%) acceptent majoritairement l'allongement de la durée de travail proposée par le gouvernement.


3 Enquête Harris Interactive pour RTL réalisée du 2 au 3 septembre 2010 auprès d'un échantillon de 1061
personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus.



Le sujet des retraites révélateur du désarroi économique et social des Français

3. Le sujet des retraites révélateur du désarroi économique et social des Français

Si la partie semble difficile pour le gouvernement, les perceptions des Français s'agissant du contre-projet socialiste portent également des ambiguïtés. Une étude réalisée par l'Ifop pour Sud Ouest Dimanche4 montre ainsi que les Français sont relativement partagés sur la viabilité d'un projet dont ils semblent mal connaître les contours.


Point positif d'abord pour le PS, notamment au regard de la faible exposition médiatique de ses propositions, 49% des interviewés estiment qu'elles sont plus équilibrées en ce qui concerne les efforts demandés aux différentes catégories de Français que les propositions du gouvernement. Ce taux monte à 72% parmi les proches du Parti Socialiste, et à 53% au sein des tranches d'âge les plus concernées par la réforme (de 35 à 64 ans). Il reste dans la moyenne néanmoins chez les ouvriers (48%) et d'une manière générale chez les salariés du privé (49%). Du point de vue de la justice sociale, l'avantage se situe donc dans le camp socialiste.


Elément moins satisfaisant s'agissant de la capacité du PS à proposer un contre-projet crédible, 57% des personnes interrogées dans cette même enquête considèrent que ses propositions ne sont pas plus sérieuses que celles du gouvernement concernant le financement à long terme du système de retraites par répartition. Si les proches du PS sont 69% à penser que c'est pourtant le cas, 83% des proches de l'UMP font le constat inverse.


Ainsi, le Parti Socialiste a l'avantage sur le gouvernement du point de vue de la justice sociale, mais il n'apparaît pas encore tout à fait en mesure de rivaliser concernant la viabilité de ses propositions. Une meilleure diffusion des contre-propositions socialistes, à l'occasion du débat parlementaire, pourrait contribuer à faire bouger les lignes.


L'exécutif tout comme le PS se trouvent donc confrontés aux ambivalences d'une opinion pour qui la question des retraites reste un sujet difficile à appréhender.

En réalité, les réactions des Français sur cette thématique renvoient à de multiples inquiétudes
liées à la situation économique et sociale du pays : peur de voir le système de retraites par
répartition disparaître, du fait des difficultés budgétaires de la France, et crainte personnelle de partir
en retraite dans de mauvaises conditions, notamment du point de vue du pouvoir d'achat. Tout se
passe en fait comme si le sujet des retraites cristallisait aujourd'hui des angoisses plus larges affectant
la société française et ayant trait à l'avenir socioéconomique de la nation.


A cet égard, une autre étude réalisée par l'Ifop pour le compte de France Soir5 est instructive. Elle
indique que nombre de Français, en particulier au sein de certaines catégories particulièrement
touchées par la crise, s'inquiètent des conditions dans lesquelles ils pourront prendre leur retraite,
signe d'un véritable pessimisme quant aux évolutions de long terme de ce dossier et à la capacité des
politiques à le prendre en charge. Interrogés sur leur perception de la retraite comme moment de la vie,
49% des Français considèrent que c'est un moment qu'ils « attendent avec impatience », mais 47%
déclarent le « redouter ». L'inquiétude soulevée par les derniers débats et plus généralement les
perceptions sombres de l'avenir économique et social ont ainsi pour conséquence de faire basculer une
part importante de l'opinion dans la crainte d'un moment de la vie qui pouvait apparaître jusque là
comme un âge béni.

Les perceptions sont particulièrement sombres parmi les femmes (53% redoutent l'âge de la retraite), mais surtout les jeunes générations (59% d'inquiétude parmi les moins de 35 ans), alors que les personnes les plus proches de la retraite (les 50-64 ans) sont davantage dans l'impatience de cesser leur activité (67%). On relève par ailleurs que les considérations relatives à la pénibilité de son propre métier n'entrent guère en compte dans la manière dont on envisage cette période de la vie : 55% des cadres et professions libérales attendent leur départ en retraite avec impatience contre seulement 46% des ouvriers ; les anticipations semblent dès lors surtout déterminées par les inquiétudes socio-économiques, plus fortes chez les catégories de la population particulièrement frappées par la crise.

4 Enquête Ifop pour Sud Ouest Dimanche réalisée par téléphone du 2 au 3 septembre 2010 auprès d'un échantillon de 957 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

5 Enquête Ifop pour France Soir réalisée par téléphone du 2 au 3 septembre 2010 auprès d'un échantillon de 957 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.



en Synthèse

Bien que l'on ne puisse observer en cette rentrée de révolution dans les perceptions de l'opinion quant à la réforme des retraites, plusieurs inflexions s'avèrent relativement préoccupantes pour le gouvernement, et le seront davantage encore si la mobilisation prend corps :


- un doute croissant d'une partie de l'opinion sur la justice de la réforme (les questions relatives à la pénibilité semblant peser lourd dans ces perceptions),


- une incarnation ministérielle de la réforme qui apparaît quelque peu fragilisée, même si pour le moment l'affaire Woerth pèse beaucoup moins dans l'opinion que dans les médias, les Français continuant de montrer un intérêt fort relatif aux développements de ce dossier ;


- un soutien déclinant à la proposition phare du recul à 62 ans de l'âge de départ à la retraite avec de très forts clivages générationnels, politiques et des franges importantes de la population dans une attitude très hostile,


- un risque de coupure avec l'électorat populaire chez qui les préoccupations liées à la situation économique et sociale (et notamment le chômage et le pouvoir d'achat) sont particulièrement fortes6.


Damien Philippot, Directeur de clientèle au Département opinion et stratégies d'entreprise

6 De ce point de vue, l'insécurité, thématique ayant fait l'objet d'une offensive médiatique de la part de l'exécutif cet été, apparaît comme un problème de second rang : une enquête Ifop pour France Soir réalisée du 24 au 26 août révélait ainsi que l'insécurité ne figurait qu'au 4ème rang des préoccupations des ouvriers et des employés.