Ray Davies : See My Friends

en compagnie de Bruce Springsteen, Alex Chilton, Black Francis, Billy Corgan, Metallica et Jackson Browne et bien d’autres.

Publié le 04 janvier 2011

Le légendaire génie des Kinks revisite certains de ses plus grands succès écrits au cours de quarante-six années de carrière avec en sa compagnie une incroyable brochette d'artistes : Bruce Springsteen, Alex Chilton, Black Francis, Billy Corgan, Metallica et Jackson Browne et bien d'autres.

Tracklisting

  • Ray Davies & Bruce Springsteen - 'Better Things'
  • Ray Davies, Jon Bon Jovi & Richie Sambora - 'Celluloid Heroes'
  • Ray Davies & Mumford & Sons - 'Days/This Time Tomorrow'
  • Ray Davies, Lucinda Williams & The 88 - ' Long Way From Home'
  • Ray Davies & Metallica - 'You Really Got Me '
  • Ray Davies & Paloma Faith - 'Lola'
  • Ray Davies & Jackson Browne - 'Waterloo Sunset'
  • Ray Davies, Alex Chilton & The 88 - ''Til The End of The Day '
  • Ray Davies & Amy Macdonald - 'Dead End Street'
  • Ray Davies & Spoon - 'See My Friends'
  • Ray Davies & Black Francis - 'This Is Where I Belong'
  • Ray Davies & The 88 - 'David Watts'
  • Ray Davies & Gary Lightbody - 'Tired Of Waiting'
  • Ray Davies & Billy Corgan - 'All Day And All Of The Night/Destroyer'

Biographie

L'année a une fois encore été bien remplie pour Ray Davies. Avant même d'avoir terminé See My Friends, un des albums les plus intéressants, intrigants, et inspirants d'une carrière débordant de projets similaires, il était déjà bien occupé.

Ray est parti en tournée acoustique solo aux USA et au Royaume-Uni, avec en première partie le jeune groupe californien The 88, des fans des Kinks qui ont «auditionné» en lui envoyant leurs enregistrements d'une sélection de ses propres chansons. Il s'est produit au Danemark en compagnie d'un orchestre symphonique et d'une chorale, une expérience qui a donné envie à Davies de dépoussiérer une chanson qu'il n'avait jamais joué depuis son enregistrement en 1971, The Way Love Used To Be, tirée de la bande originale du film Percy. Il a également fait une apparition au festival de Glastonbury, où il a été rejoint sur scène par le Crouch End Festival Chorus pour une performance brillante, à l'occasion de laquelle il a rendu hommage à Pete Quaife, l'ex-bassiste des Kinks décédé en juin dernier. Le décès de Quaife, un ami d'enfance de Davies, avec qui il avait grandi dans le nord de Londres, «a été une grande perte pour moi. Pete a eu le courage de tout plaquer», raconte Ray de manière admirable quand il évoque le départ de son ami du groupe en 1968. «Il faut un sacré courage pour faire ça. Il a littéralement claqué la porte».

Davies est auteur jusqu'à l'os. Cela signifie qu'il est toujours ravi d'écrire de nouvelles compositions, comme par exemple Flatlands, une oeuvre chorale interprétée avec l'orchestre de musique de chambre Britten Sinfonia et «inspirée par la mythologie anglaise», explique le créateur de The Village Green Preservation Society et Arthur, deux concept albums des Kinks aujourd'hui devenus des classiques. Et cela signifie aussi qu'il va de l'avant tout en s'inspirant du passé. Quand on a écrit autant de chansons que Davies, autant de titres aussi brillants qu'intemporels, on possède un back catalogue riche en trouvailles à recycler.

C'est ainsi qu'est né See My Friends, un album de collaborations avec une incroyable brochette d'artistes aux côtés de qui Davies reprend des chansons écrites au cours de ses 46 ans de carrière. On y retrouve Bruce Springsteen sur Better Things, Metallica sur You Really Got Me, Mumford & Sons sur Days/This Time Tomorrow, Paloma Faith sur Lola, ainsi que dix autres collaborations tout aussi inspirées.

« Le projet est né presque par accident, explique Davies. J'étais entrain d'écrire de nouvelles chansons avec un artiste en particulier. En fait, je n'ai jamais vraiment enregistré avec d'autres personnes, ou écrit pour d'autres. Au départ, ça a commencé comme un projet de collaboration : j'allais écrire des chansons pour des gens. »

Et puis pendant l'été 2009, Ray a enregistré une version de Till The End Of The Day (extraite de l'album The Kink Kontroversy, publié en 1965) avec le chanteur de Big Star, Alex Chilton. Davies avait fait la connaissance de Chilton, décédé en mars 2010, à l'époque où il vivait à la Nouvelle-Orléans. Chilton faisait partie de ceux qui avaient sympathisé avec Davies après qu'il a été blessé par balle à la jambe lors d'une attaque à main armée dans la rue en 2004. Mais le projet n'a vraiment pris corps qu'à la fin de l'an passé à New York.

« J'ai donné un gros concert là-bas, pour le 25eme anniversaire du Rock And Roll Hall Of Fame. C'est là que j'ai rencontré Bruce Springsteen. Il a dit qu'il était très content de participer. On a fait Better Things, qui avait été un hit pour les Kinks aux Etats-Unis, mais pas en Angleterre. Et j'ai joué You Really Got Me et All Day And All Of The Night avec Metallica. Tout est parti de là.... »

Davies n'a pas eu de scrupule à donner une seconde vie à ces classiques. Son passé musical n'a rien d'une terre inconnnue, et son catalogue rien d'une vache sacrée. Il était prêt à s'ouvrir aux idées d'autres artistes et à leurs interprétations. Et il a été ravi de se laisser porter là où la musique le menait, à tous les sens du terme : d'Oslo au Danemark en passant par l'Allemagne et la Belgique pour enregistrer avec Metallica, New York pour enregistrer avec Bon Jovi, le New Jersey pour Bruce Springsteen, Chicago pour Billy Corgan des Smashing Pumpkins, et chez lui dans son studio du nord de Londres pour le reste. « Ce disque a déjà pas mal voyagé ! », sourit Ray.

Tout ça a été réalisé sans cérémonie : Jackson Browne a fait un saut avec une Gibson acoustique toute cabossée au beau milieu d'une tournée européenne, Paloma Faith est venue avec tout son groupe et Frank Black a fait un passage express un après-midi.

« J'aime le travail collectif. J'ai travaillé pour des comédies musicales et pour le théâtre. J'ai remarqué que beaucoup de personnes qui font ce que je fais ont peur des collaborations. Ca les effraie. Ils ne veulent pas se remettre en question. Ils veulent la sécurité de leur propre talent et de l'organisation avec laquelle ils ont l'habitude de travailler. Mais la peur de l'échec ne m'effleure jamais l'esprit.

Un dialogue s'est établi entre Davies et les artistes en Grande-Bretagne et aux USA. Certains étaient fans de lui. D'autres lui ont été suggérés. Il en connaissait certains de longue date. Il avait rencontré Springsteen plusieurs fois au cours des années, mais ils n'avaient jamais travaillé ensemble.

« Je voulais en quelque sorte jouer le rôle de catalyseur, je voulais arriver à faire chanter une chanson donnée d'une manière donnée à ces artistes, puis trouver ma place sur leur interprétation. Mais pour Better Things (tirée de l'album paru en 1981 Give The People What They Want), que j'ai faite avec Bruce, les choses ne se sont pas vraiment passées comme ça puisqu'on l'a tous les deux chantée comme on chante d'habitude. Je suis particulièrement satisfait de la nouvelle outro à laquelle j'ai pensé. Je ne l'avais pas soumise à Bruce, et je l'ai juste interprétée quand on jouait l'accompagnement. J'ai rallongé la fin pour qu'on puisse se renvoyer la balle à la fin du morceau. Il a tout de suite compris et il a rebondi de manière très pro. Je suis très content. »

« Pour certains titres, il a fallu que je prenne en compte le style des autres artistes, sinon le tout aurait été bancal. Et puis je voulais que l'album puisse s'écouter comme un tout. Chaque morceau avait une vie propre. »

Ainsi, la chanteuse country Lucinda Williams, accompagnée par The 88, « insuffle un nouveau souffle, une nouvelle énergie » à A Long Way From Home (tiré de l'album paru en 1970 Lola Vs Powerman And The Moneygoround Part One), tandis que l'auteur-compositrice-interprète écossaise Amy Macdonald replace le single Dead End Street (1966) «au coeur du contexte social d'aujourd'hui... Autant que je sache, Amy n'avait jamais chanté dans un autre studio que celui où elle a travaillé avec son manager. » Alors quand Davies l'a invitée dans son QG du nord de Londres, les studios Konk, « c'était tout nouveau pour elle... Je me suis assis avec elle, elle ne pouvait pas chanter le titre dans la même tonalité que moi, alors j'ai adapté la chanson et écrit une harmonie sur laquelle nous nous sommes calés. Ca a généré des problèmes différents de l'original, mais le résultat final est très bon. J'ai aussi écrit une nouvelle intro, différente de celle qu'on trouve sur l'enregistrement des Kinks de Dead End Street. J'ai écrit un nouveau mouvement qui ressemble à une chanson swing. »

Cet exemple, ajoute-t-il, illustre bien l'approche très libre qu'il a adoptée dans son travail avec chacun des artistes sur chacun des titres : « J'ai laissé toutes mes idées préconçues à la porte. J'ai adapté les arrangements en fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvions sur le moment. Il faut bien réaliser que la reprise de la chanson n'est pas tout pour moi. L'important, c'est de tirer de l'artiste une performance unique », précise-t-il en parlant de l'interprétation de Gary Lightbody de Snow Patrol de Tired Of Waiting For You (1965), dont Davies a modifié le ton du pont pour s'adapter à la voix « légère et éthérée » du chanteur. « Parce que j'ai aussi tenu le rôle de producteur. Et je n'avais pas envie que les gens arrivent en studio juste pour répéter du déjà-entendu. Chaque artiste a donné sa propre interprétation des titres. »

Cela signifie également que Davies s'est parfois incliné devant le choix des artistes. Il avait été initialement impressionné par la sélection de ses chansons opérée par The 88 pour leur CD « d'audition ». « Ils ont choisi des morceaux que peu de gens auraient choisi de jouer, des chansons que je n'ai pas jouées depuis longtemps. » Sur See My Friends, ils interprètent David Watts (de l'album paru en 1967 Something Else, et dont The Jam a déjà fait une mémorable reprise) et remplissent le rôle occasionnel de groupe d'accompagnement.

Le leader des Pixies, Frank Black, « a choisi le ton » sur This Is Where I Belong (une face B datant de l'époque de Face To Face, 1966), « et je l'ai laissé décider du style dans lequel on a fait la chanson. Là encore, il s'est agi d'aborder la chose avec une grande ouverture d'esprit. Il a fallu un peu lâcher les rênes... »

Cela est tout aussi évident sur la magnifique nouvelle version de Waterloo Sunset (également tirée de Something Else) enregistrée avec Jackson Browne : « c'était un casting pour le moins inattendu », reconnaît Davies à propos de cette chanson à la quintessence toute londonienne. Mais Davies n'est pas difficile. Tout a été fait pour mettre en valeur ces nouvelles idées, ces nouveaux sons et ces nouvelles expériences. « J'ai ajouté un nouvel arrangement vocal autour de ce qu'a fait Jackson. Et le pont (« every day I look at the world from my window ») a été réalisé de manière unique. On y chante tous les deux. Un peu comme un truc sud américain ou mexicain. »

Ce voyage de globe-trotter à travers tous ces univers artistiques et sur des sentiers peu empruntés a été très excitant. East and West, la chanson de 1965 qui donne son titre au disque et dont Pete Townsend a dit qu'elle était plus innovante que Norwegian Wood des Beatles, a été écrite en partie à Bombay, mais aussi à Muswell Hill, et a ici été repensée avec Spoon, un groupe d'Austin que Davies a rencontré lors d'un concert du festival SXSW où lui et eux se sont produits cette année dans la ville texane.

« Je pense que les artistes ont tout donné », dit Ray en connaisseur. « Les bons sont ceux qui n'étaient pas connus et qui venaient de nulle part, comme le morceau de Lucinda, dont beaucoup de gens ne savent pas qu'il s'agit qu'une chanson des Kinks. Et maintenant, on en a fait quelque chose en l'interprétant en duo. Elle lui appartient en partie, à présent. Avec un peu de chance, elle l'inclura dans son répertoire. »

« C'est le truc avec ce disque : j'aimerais avoir l'impression que toutes les chansons qui le composent auraient pu faire partie du répertoire des artistes qui les interprètent. Et que je ne les ai pas forcés à les choisir. »

Et l'homme ? Qu'a-t-il retiré de cette expérience avec ses amis ?

« Ca m'a donné envie d'écrire de nouvelles chansons, sourit-il. Parce que c'est ça, mon job. Mais j'aime aussi ce processus, l'idée d'essayer des chansons avec d'autres personnes. C'est un processus de découverte. »