Se méfier des allégations de certains cinéastes français. La vie n’est pas toujours un fleuve tranquille. Et le fait qu’il soit long, parfois, ne doit pas être considéré comme une aubaine. Cela fait vingt ans que Jil Caplan enfile des perles et bondit de pas en pas comme ces Japonaises qui essayent d’éviter la rosée du matin tapie dans l’herbe. Emaillé de noms qui comptent et de chansons vivaces, son parcours n’est que palpitations : au rythme des rencontres de drôles de types à musique, de coups de cœur, d’éclats de rire et de voix.
En 2007, elle revient sur le devant de la scène avec “derrière la porte”, une nouvelle étape, certes, mais surtout un album point d’orgue, comme un instant suspendu, une vapeur d’écume entre deux vagues. Un disque miracle né des retrouvailles fortuites avec Jay Alansky, qui, après ses escapades électroniques remarquées (A Reminiscent Drive), est tombé sous le charme de quelques phrases, capables de raviver le feu comme une poignée d’herbes sèches.
Un coup de fil, un thé brûlant, et des heures de discussion ont suffi pour faire revivre une complicité qui a déjà fait ses preuves. Pourtant, Jil Caplan n’était pas certaine d’y croire encore: “Je n’étais pas sûre d’avoir la force de continuer, d’avoir encore des choses à dire, que ça en vaille la peine. Et puis les chansons sont venues, sans idée préconçue, sans se poser la question de savoir quel genre d’album on allait faire. Je me suis plus investie dans des textes que Jay mettait en musique au fur et à mesure que je les écrivais. Il est directif, à sa façon, mais laisse aussi beaucoup de latitude.”
Aujourd’hui, ses mots puisent davantage dans la réalité abrupte d’un monde qui change, dans les anfractuosités de relations sentimentales pas toujours humaines, de maux croisés au détour d’un échec : “J’ai beaucoup écrit la nuit, quand tout le mode dort et qu’on se sent capitaine de vaisseau. Un bout de texte donnait naissance à une mélodie et des arrangements basiques. Ensuite, pendant que Jay fignolait les arrangements, je peaufinais le texte. Faire ce disque nous a fait un bien fou. Nous étions tous les deux blessés pour des raisons différentes et l’album a été comme un baume.”
Façonné au jour le jour, à la maison (chez Jay Alansky), seulement tributaire de l’inspiration, “Derrière La porte” coule de source, foisonne de mélodies qui coulent de source, subtiles dans leurs arrangements où se mélangent les textures organiques et électroniques pour former un écrin soyeux à la voix. L’insouciance des années passées à se construire a fait place à une connivence fructueuse : “La vie est brutale et laisse des gens sur le carreau, des cœurs à la dérive. Une nuit, la peur m’a réveillée. J’avais l’affreux sentiment d’être seule au monde. Il aurait pu m’arriver n’importe quoi, personne ne l’aurait su, tout le monde s’en serait moqué. «‘Des toutes petites choses »’, «Un âne sur la route » ou encore « On n’entre plus chez toi » évoquent cette peine que procure la solitude, l’abandon, le fait de ne plus être touché.”
Mais il a beau être la forme d’inconscience la plus torse, le bonheur continue d’appartenir à ceux qui se lèvent avec le courage d’en découdre, de faire face, de jeter d’autres ponts vers d’autres rives. “derrière la porte” multiplie les appels du pied et les courants d’air chauds qui permettent de se maintenir à bonne altitude, en vie et avide. Jil Caplan, à la manière des peintres impressionnistes qui ne s’épanchaient que par petites touches, et comme elle le chante si bien ici, est désormais capable de produire toutes les couleurs du monde et de les envoyer frapper aux portes. A nous de savoir les laisser rentrer chez nous.
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