Le temps file à vitesse grand V ; c'est le premier constat qui s'impose à l'écoute des 13 chansons du quatrième album de -M-. Voilà six ans maintenant que nous n'avions pas eu de nouvelles de cet artiste hors normes à la voix perchée et à l'imaginaire coloré. Six années durant lesquelles Matthieu Chedid, petit fils de la poétesse Andrée Chedid mais surtout démiurge du monde de -M-, a traîné ses guêtres et sa guitare dans l'univers des autres, en quête d'une liberté et d'un anonymat dont la tournée triomphale « En Tête à Tête » l'avait quelque peu éloigné. Bien-sûr, sa présence aux côtés de Vanessa Paradis n'a échappé à personne et le succès de « Divinidylle », tant discographique que scénique, ne lui est pas étranger. Pour le reste, l'artiste s'est fait discret et s'est bien gardé de répondre aux rumeurs qui ont circulé sur la mort de son personnage fantasque, préférant puiser dans les rencontres, les voyages et les errances nocturnes, à la recherche d'un nouveau cap artistique.
Si le baptême de -M-, inauguré voilà plus de dix ans et décliné sur trois albums aux contours nets et aux couleurs éclatantes, marquait la naissance artistique de Matthieu Chedid, « Mister Mystère » s'apparente davantage à une mise à nu qui voit l'artiste « léguer son costume de plumes » pour nous livrer « ses entrailles en plein trip » comme il le chante dans « Le roi des ombres », premier extrait édifiant de cet album millésimé 2009. Moins exubérant mais toujours aussi défiant, le nouveau -M- s'est dissous en son créateur qui l'a pleinement intériorisé et digéré, pour en faire non plus une créature du dehors mais une fantaisie du dedans, une source de vie qui jaillit du plus profond de l'être. Débarrassé de ses oripeaux, il nous revient plus rock, plus sex, plus trouble, plus sombre, plus solitaire, plus polaire, plus oriental, plus charnel, plus mortel, bref, plus humain. On est loin de l'innocence des débuts mais même si « le doute a couché son ombre sur les choses » (« Tout sauf toi »), l'obscur objet du désir, lui, reste on ne peut plus vivace. Car cette noirceur inédite ne va pas sans son halo de lumière. Eternel balancement des contraires, ce nouveau monde en noir et blanc, dont -M- constitue l'axe, n'a de cesse d'osciller entre ombre et lumière, diurne et nocturne, ivresse et sagesse, orage et accalmie, orient et occident, murs gris de Paris et soleil du Mali.
Et si la solitude affleure à chaque recoin, les chansons de ce « Mister Mystère » sont elles aussi pour la plupart le fruit d'une vision double, celle de -M- et ses co-laboratores - Brigitte Fontaine, George Kretek et Hocine Merabet pour les textes, le jeune frère de Matthieu, Joseph, pour quelques musiques, sa s?ur Anna pour la voix féminine et Louis Chedid pour le mixage. Cette approche double n'est pas nouvelle chez Matthieu Chedid mais il va plus loin cette fois puisqu'il propose pour la première fois un album en « diavision », c'est-à-dire un album qui se regarde autant qu'il s'écoute. En effet, chaque chanson de « Mister Mystère » s'accompagne de deux films, deux visions qui s'opposent autant qu'elles se font écho par un procédé cinématographique simple : le split screen. Pensés comme un road-trip, ces films de Matthieu Chedid, accompagné à la réalisation et au montage par sa s?ur Emilie, constituent un duel d'images en mouvement qui s'allient au rythme de la musique et créent une dynamique inédite. Paysages sauvages sous la lumière du crépuscule, villes assiégées par la grisaille, parfums d'orient ou d'Afrique, pieds et mains qui s'agitent dans la jungle urbaine, éléments qui se déchaînent, toutes ces images, entre calme et frénésie, stase et agitation, tentent de saisir la marche du monde et d'en maîtriser la cadence. Un monde où l'homme y tient une présence fantomatique et ne semble être que l'ombre de son ombre.
Cette nouvelle aventure discographique est un retour aux sources pour -M-, avec pour catalyseur la chanson éponyme « Mister Mystère », qui s'ouvre sur un cri polaire et déroule un tapis de guitares qui annoncent la couleur rock de l'album. Et sous la plume déjantée de l'indomptable Brigitte Fontaine, l¹artiste se montre fiévreux et incandescent, comme dans « Tanagra », autre moment fort, qui chante la femme « double-face » et alterne riffs hendrixiens et passages de piano plus soul, traduisant un savoureux mélange d'exaltation et de frustration. Le mythe de -M-, lui, est mis à l'épreuve dans « Le roi des ombres », ode aigre-douce à la solitude du créateur tout autant qu'à son salut, c'est-à-dire à sa rencontre avec l'Autre : « Je suis M / Tu es M » chante Matthieu, avant de reprendre « Je suis l'ombre de ton ombre / Tu es l'ombre de mon M ». Pour le reste, c'est toujours -M- qui mène la danse dans une tentative désespérée de se délivrer du temps qui passe (« Semaine » et « Délivre »), de déjouer la mort (« Hold up », reprise d'une chanson de son père), de chasser son spleen (« Phébus » et « L'élixir »), ou bien, comme toujours, de s'interroger sur le désir et ses mystères dans le très athlétique « Est-ce que c'est ça ? » où il pose cette question cruciale et ô combien occidentale : « Dis, après quoi on court ? ». Question à laquelle il esquisse une réponse dans « Amssétou », chanson basée sur son expérience du Mali qui oppose au « cantique des quantités » de notre « occident oxydé » l'indolence de l'Afrique où le temps ne semble pas avoir de prise et où par conséquent on se sent libre.
Voilà pour l'essentiel de cet album qui emprunte la voie du mystère. Et comme toujours chez -M-, l'objet discographique recèle aussi quelques trésors cachés dans son arrière-boutique : « Mister Mystère » offrira à ses auditeurs un bouquet de quatre chansons supplémentaires intitulé « Lettres à Tanagra » disponible via un lien internet ; quatre textes de Brigitte Fontaine qui font écho aux chansons de l'album et creusent de manière plus intimiste les thèmes déjà abordés - « Tanagra » / « Lettres à Tanagra », « Destroy » / « Brigand ». Bien que cachées, ces chansons seront présentes sur la face dvd de l'album. Et puis bien-sûr, elles commenceront une vie nouvelle sur scène, terrain de prédilection de l'artiste, où -M- prend un nouveau départ et s'entoure d'un groupe considérablement étoffé qui comprend de jeunes pousses, Joseph et Anna Chedid, Pierre Cohen et Elise Blanchard, mais aussi deux vieux comparses, Cyril Atef et Pierre Boscheron. Cette formation inédite défendra le nouveau répertoire de l'artiste à l'automne dans les clubs puis entamera une tournée dans les grandes salles de France et de Navarre à compter de Février 2010.
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