Dès son premier album Worrisome Heart, Melody Gardot s'est imposée dans le monde entier comme une voix du jazz avec laquelle il allait falloir compter. Melody Gardot revient avec un nouvel album My One And Only Thrill qui met l'accent sur les arrangements de cordes, les influences brésiliennes, et toujours le même blues insondable.
Le premier album de Melody Gardot s'intitulait 'Worrisome Heart'. Ce disque témoignait d'un talent inné, un don qui transformait les traditions jazz et blues. Mais même les admirateurs de Gardot les plus fidèles seront épatés de découvrir l'énorme saut créatif qu'elle franchit avec son deuxième album, 'My One And Only Thrill'... Avec ses mélanges de rythmes latins, de blues qui font claquer les doigts et de brûlantes chansons d'amour mélancoliques, c'est un album qui semble avoir été façonné par de multiples vies d'amour, de perte et de désir, bien que la chanteuse n'ait encore qu'une vingtaine d'années. Mais il ne faut pas oublier que l'accueil délirant réservé à 'Worrisome Heart' (par les critiques comme par ses fans), signifiait aussi que, soudain, Melody Gardot s'était trouvée dans une vie qui se déplaçait à triple vitesse entre concerts, hôtels et aéroports pour répondre à des exigences venant de plusieurs continents.
«On passait neuf mois sur la route, même si parfois, avec un peu de chance, je pouvais prendre une semaine de repos,» explique-t-elle entre deux bouchées de sushi. «Mais jamais je ne profitais de vraies vacances, parce que je m'occupais du nouvel album quand on n'était pas en tournée. C'était décourageant, mais génial en même temps, parce que j'avais l'occasion de travailler et de réfléchir, de retravailler et réfléchir de nouveau, ce qui m'a permis d'avoir du recul, plutôt que de prendre constamment des décisions à l'arrache... C'était intéressant de le faire comme ça, de toute manière, c'est sûr.»
Malgré les exigences de son agenda, elle avait fait en sorte que tout soit méticuleusement planifié pour l'enregistrement de 'My One And Only Thrill'. «Nous sommes entrés en studio avec toutes les chansons déjà écrites, ce qui est important parce qu'il faut avoir déjà une bonne idée de ce que l'album va donner. Il te faut une idée, il faut la travailler avec les musiciens et faire les pistes rythmiques correctement. Ensuite tu peux décider quelles chansons ont besoin de cordes, et quels morceaux peuvent vivre sans. C'est un processus intéressant: tu mets à nu ce que tu fais pour faire de la place pour autre chose: tu coupes en deux pour laisser de la place à l'orchestre.»
Le résultat est que son groupe -Charles Staab (batterie), Ken Pendergast (basse), Patrick Hughes (trompette), Bryan Rogers (saxophone) - est un ensemble qui doit jouer souvent avec encore plus de retenue, même si, à force de travailler ensemble, et grâce aux rapports construits dans la durée, elle ne se voit pas aller en studio sans eux: «Je leur disais, 'vous pourriez jouer tous ces trucs mais je veux vous voir ne rien faire, absolument rien!'» dit-elle en riant. «Mais c'était super, parce qu'ils sont tous dans ma bande à moi, ce qui rend le disque très spécial. Un disque est fantastique quand autour de toi il y a les gens qui sont intuitivement dans ta tête, et tu sais ce dont tu as besoin pour ces morceaux-là. Ces types jouent avec moi depuis tellement longtemps, ils savent tout ça sans même y penser. J'adore partir avec mon groupe, ça nous permet de nous lier, d'être ensemble.»
Et donc cette modération, cette économie que l'on trouve chez les musiciens en concert, refait surface ici sur l'album. L'arme secrète du disque réside néanmoins dans les arrangements orchestraux écrits par Vince Mendoza. Né dans le Connecticut, et lui-même compositeur et soliste, Mendoza a déjà été remarqué pour ses collaborations musicales avec de nombreux pur-sang dont Al Di Meola, Joni Mitchell, Kyle Eastwood ou Joe Zawinul; sans oublier que c'est à lui que l'on doit les arrangements pour l'album de Robbie Williams, 'Swing When You're Winning'. Pour l'album de Melody ses arrangements couvrent toute une palette, depuis des rythmes brésiliens sautillants avec des lignes pures jusqu'à des morceaux plus lents, dramatiques et troublants. Un exemple: 'Our Love Is Easy', épopée torride de l'amour interdit où la voix sensuelle de Melody plane sur la douloureuse intensité qui se dégage de la partition de Mendoza. Il se trouve que ces échos de Peggy Lee et de Frank Sinatra (dans sa période 'Only The Lonely'), ne doivent rien au hasard: «On enregistrait chez Capitol et Vince me disait, 'si tu n'écris pas de morceaux plus heureux que ça, tu n'auras jamais de carrière,'» glousse Melody. «Il plaisantait complètement! Mais d'une certaine façon, c'était de l'ironie, parce que dans 'Our Love Is Easy', ça sonne comme si tout va bien, mais quand tu entends l'arrangement, au début c'est quasiment un cortège funèbre... C'est comme ça pour des raisons très précises: parce que la chanson parle d'un grand amour et d'un grand amour perdu. Il y a une phrase, 'ils disent que la vigne empoisonnée engendre un vin plus fin', et ça veut dire que parfois, ce ne sont pas nécessairement les choses dont on vous fait cadeau qui sont les plus prometteuses. Et l'ironie est là-dedans, que l'amour dont tu parles est beau, mais tu sais que c'est un amour impossible.»
La magie de Mendoza se répand jusqu'à dans l'album-titre, ballade envoûtante qui semble suspendue dans l'espace, soutenue par le jeu délicat au piano et les cordes qui font miroiter des mirages. En plein milieu, l'orchestre s'éloigne dramatiquement, détourné pour monter en spirale dans un tourbillon sonore vertigineux digne d'une bande-son de Bernard Herrmann dans un film d'Hitchcock... Des cordes somptueuses et sombres inondent aussi la rêverie sincère de 'Deep Within The Corners Of My Mind', tandis que le côté bluesy-élégant de 'Lover Undercover' (chanson déjà expérimentée en concert) est bâti sur de longues phrases interprétées par les cordes legato.
Des échos d'enfance - il s'agit cette fois de la sienne - reviennent dans sa reprise de 'Somewhere Over The Rainbow', chanson enregistrée par de nombreux artistes mais jamais dans le style si particulier de Melody Gardot, ici imbibé de parfums latins. La chanteuse prête sa redécouverte de ce morceau au fait qu'elle avait passé beaucoup de temps en la compagnie de sa grand-mère («elle était de l'Europe de l'est; elle avait des origines diverses, polonaises surtout»), grand-mère qui gardait Melody lorsque sa mère devait travailler.
«C'était un amour, vraiment une femme bien, et apparemment elle était l'une des seules dans la famille à qui je ressemble. Quand j'étais petite ma grand-mère me faisait regarder 'Wizard Of Oz' un million de fois. Or, un jour, des années plus tard, je me suis assise pour écrire et j'ai trouvé ces accords; je me suis rendue compte que ce n'était pas une chanson que j'allais écrire, mais une chanson qui avait été écrite déjà: elle s'appelait 'Somewhere Over The Rainbow'.»
Les méthodes d'auteurs-compositeurs étant parfois énigmatiques, Melody fusionne ses souvenirs de cette chanson avec sa passion pour la musique du Brésil, et les résultats sont aussi rafraîchissants qu'inattendus. L'arrangement souple et ensoleillé écrit par Mendoza complète parfaitement la partie vocale délicieusement détendue, et l'ensemble chasse les toiles d'araignée d'une mélodie familière pour créer un classique du 21ème siècle. «Si tu vas faire une reprise, il faut faire quelque chose de différent avec,» songe Melody, «sinon c'est comme, 'à quoi bon?' Et il y a des chansons que personne ne devrait jamais toucher, comme 'One For My Baby' de Sinatra... celles-là, laisse-tomber, on les a faites.»
Il y a un an, la plupart des conversations au sujet de Melody Gardot tournaient autour de son rétablissement après un terrible accident de la route, et la manière dont elle se servait de la musique comme thérapeutique vitale. Avec 'My One And Only Thrill', par contre, les seuls sujets de discussion seront ses qualités musicales, ses compositions et son étonnante croissance artistique. Messieurs, Mesdames, une étoile est née.
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