Julien Baer est un styliste, un chercheur, un musicien discret et exigeant qui compose sans souci du temps des chansons douces-amères au pouvoir ensorcelant. Enregistré entre Paris et Bamako, le LA, le quatrième album de Julien Baer est encore plus dépouillé et mélancolique que les précédents. Un trésor caché.
Voici une mélodie magique qui s'installe dans la mémoire, une mélodie qui sait colorer toute une journée pour peu qu'on l'ait entendue une fois. Julien Baer chante très près, un peu comme quand on prend dans ses bras son amour meurtri. La chanson semble dessinée d'une plume vive et légère sur un fond d'aquarelle, à la fois mélancolique et enjouée, dansante et grave. Elle s'appelle Le La et elle donne son titre au quatrième album de Julien Baer. Et elle nous rappelle qu'il est un des plus précieux mélodistes que l'on connaisse. D'ailleurs Le monde s'écroule, qui l'a révélé il y a presque douze ans, trotte toujours dans la tête...
Styliste qui n'œuvre qu'en franc-tireur, il a pris son temps (« trop longtemps », dit-il) depuis Notre-Dame des Limites, son précédent album. Il a enregistré, réenregistré, trié et retrié encore dans toute la matière enregistrée pour en sortir onze chansons infiniment élégantes. Avec Jean Lamoot (qui a réalisé des disques d'Alain Bashung, Têtes Raides, Juliette Gréco, Salif Keita, Dominique A, Noir Désir...), Julien Baer a passé des semaines au studio Ferber à Paris, s'est échappé à Bamako pour dépayser ses chansons et ses humeurs...
Et son album lui ressemble, entre discrétion et impudeur, entre non-dit et réalisme. On y entend de rudes impressions d'artiste (Concert amer), d'acides visions du quotidien en 2009 (L'Immobilier, Pends-le haut, pends-le court), des plongées dans l'envers des sentiments (Sept heures et demi, Douanier, Cité), tout un lexique de pastels et d'aveux voilés qui dessinent un autoportrait en clair-obscur. Car Julien Baer est discret. Un discret paradoxal : il n'aime pas beaucoup parler de lui et roule sur une grosse moto au caractère bien trempé ; il ne goûte pas l'exercice de la confession publique et se dévoile partout dans son album.
Il est vrai qu'il ne se rêvait pas star. La musique commence pour lui avec la radio, « avant les FM, quand ce qu'on entendait était très éclectique : on entendait Jamais content de Souchon puis une des tragédies symphoniques dansantes de Donna Summer... » Il n'a pas pris le plus court chemin. Pianiste de bar aux Trois Mailletz, il est arrivé lentement à la chanson, constituant une œuvre hors norme avec trois albums bouleversants et subtils : Julien Baer en 1997, Cherchell en 1999 et Notre-Dame des Limites en 2005.
Aujourd'hui, il aime Rockollection et Mouloudji, des tubes glanés sur Skyrock ou sur MTV... Il a fait un disque qui ressemble à cette vaste discothèque mentale imprévisible : Pends le haut, pends le court est une sorte d'hymne à la Creedence Clearwater Revival avec synthé vaguement disco et groove malien, Lourde Porte d'entrée navigue entre blues hippie et énigmes à la Dominique A, Tant besoin de toi a des couleurs de Joni Mitchell partie en trip hop acoustique... Et on entend de la soul sans le sucre, de la cumbia sans les tropiques, de la Californie sans les paillettes, ne serait-ce que parce que Julien Baer n'aime pas la symétrie, le prévisible, l'emphase. Les chansons lui viennent toujours comme « de la musique avec un mot, une vision ». Puis il tire sur le fil. Un fil de tendresse et de poésie, un fil de douceur avec un rien d'acide. Bertrand Dicale
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