Eldorado... Cet album, Stephan Eicher devait l'avoir dans un coin de sa tête depuis longtemps ; presque quinze ans...à l'époque de Carcassonne quand il pensait déjà à se réinventer après six grosses années de succès ininterrompu (Two people in a room, Combien de temps, Déjeuner en paix, Pas d'ami (comme toi)...). Il rêvait déjà de grands espaces et d'Amérique, fantasmait sa culture européenne sur le modèle des civilisations nomades. Mais ses racines l'avaient amené alors ailleurs, vers des soleils plus provençaux et méditerranéens. Puis il a virtuellement continué sa route vers le sud, en organisant de savants dialogues à distance entre l'Afrique, le blues et l'électronique sur l'expérimental 1000 vies ; avant de mettre le cap vers les terres celtes pour un Louanges bercé du doux feu des violons, flûtes et pipes irlandaises.
Il a retrouvé en 2003 des climats plus continentaux sur un Taxi Europa orienté nord-sud, généreux, avec lequel il fera le tour du vieux continent. « À la fin de cette longue tournée, je ne supportais plus l'idée de chanter fort. J'avais envie de chanter pour moi-même ou pour une seule personne. Comme par hasard, j'ai commencé à faire les maquettes de nouveaux titres dans des lieux où je ne pouvais pas faire de bruit. En Camargue, il y avait un chien qui aboyait dès que je commençais à chanter trop fort. A Bruxelles, je devais presque fredonner les mélodies pour ne pas réveiller l'enfant qui dormait à côté. Peu à peu, je me suis mis à placer ma voix autrement. »
Eldorado est né comme ça, dans le silence feutré et le secret des nuits. Et comme souvent chez Stephan, c'est la voix qui a ouvert la voie. Adoucie, contenue dans les replis de l'intime, elle a dicté implicitement tous les choix instrumentaux. Il fallait de l'organique, du grain, de la matière et du toucher pour laisser plus de place aux silences, une instrumentation figurative, presque une vraie musique de film qui puisse raconter ce que la voix taisait et en démultiplier les intentions.
Pour atteindre sa destination, Stephan va d'abord solliciter son ami compositeur-arrangeur Reyn, puis des musiciens de jazz avec lesquels il a défini les essences sonores : contrebasse, grand piano, clarinette, celesta, vibraphone, mellotron et batterie minimaliste (Charly, I Cry (At Commercials), Weiss Nid Was Es Isch...) ; des premières sessions live au studio ICP de Bruxelles, dans la plus pure tradition d'un swing folk et d'une americana inspirés, le début de la recherche d'un Eldorado, justement. Dans un second temps, sa rencontre avec Frédéric Lo (compositeur et réalisateur de l'album « Crève-cœur » de Daniel Darc) affirmera sa volonté de revenir aussi à l'électro-pop de ses débuts (Dimanche en décembre, Solitaires), y mêlant par endroits une instrumentation résolument tournée vers l' Ouest (le banjo sur Confettis) . Stephan et Frédéric Lo complèteront le tableau chromatique de l'album (Voyage, Eldorado) en produisant ensemble plus de la moitié des chansons. Paul Niehaus, le pedal steel de Lambchop et Martin Wenk, la trompette mariachi de Calexico (Rendez-vous), finissent de transporter les chansons de Stephan Eicher de l'autre côté de l'Atlantique, dans l'Amérique idéale de Sparklehorse.
Eldorado... Stephan, le Suisse, n'a jamais autant semblé chez lui que dans ce décor. Et pourtant, il n'a jamais si peu chanté en langue anglaise. Il y habite les textes en bernois (on se souvient de Hemmige), celui de son compatriote l'auteur Martin Suter (Weiss Nid Was Es Isch, Zrügg Zu Mir, Charly), et en français, sous la plume de Philippe Djian (Confettis, Solitaires, Voyage...), l'écrivain-parolier de toujours qui signe même une de ses premières musiques (Pas déplu), mais aussi - et c'est l'autre nouveauté d'Eldorado - des chansons imaginées par d'autres, deux figures de proue de cette pop française un peu oblique : Mickaël Furnon de Mickey 3D (Dimanche en décembre) et Raphaël. Loin de son statut de star de la chanson, Raphaël a endossé la panoplie de l'homme de l'ombre, auteur-compositeur du single Rendez-vous qui porte sa patte si caractéristique mais aussi sa voix de chœurs sur la chanson titre.
« J'ai toujours eu une curiosité infantile. Ma tête ne se nourrit que lorsqu'elle bouge. C'est l'extérieur qui m'anime » confesse souvent Stephan Eicher pour expliquer son amour des routes et des dépaysements, sa soif de surprises et de découvertes musicales. Avec les onze pépites d'Eldorado, le voilà lancé sur les sentiers d'une aventure que l'on veut déjà fantastique.
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