Capcampus
Depuis combien de temps faites-vous ce métier ? Comment avez-vous été saisi par la vocation ?
Olivier LAPIDUS
Le métier de couturier est une seconde nature … en fait je dois être un peu paresseux car j’ai suivi une pente naturelle , comme un réflexe conditionné par mon enfance au milieu des artisans , des tailleurs , des défilés de mode qui étaient pour moi des jeux …
Avec mes ciseaux à bouts ronds je coupais des tweeds à trois ans et j’étais célèbre à la maternelle pour avoir cisaillé tous les pompons des bonnets de mes camarades … surtout les filles …
Capcampus
Le luxe, la mode, on peut dire que ça coule dans vos veines. Vous a-t-il été difficile de vous démarquer du travail de votre père ?
Olivier LAPIDUS
C’est drôle cette question ; en fait elle me taraude pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’au fil du temps , nombre de mes confrères se sont inspirés des créations de mon père ( le relooking de la saharienne , l’unisexe etc … ) ensuite parce que je me suis toujours refusé de trop puiser dans ce passé que je connais si bien ;
Ce qui n’est pas forcément une bonne idée ( !) et d’ailleurs , le temps effaçant peu à peu les contours de mes souvenirs , j’en viens à laisser quelques signes très Lapidus dans mes créations , une patte d ‘épaule par ici , une presque saharienne par là …
En fait , dans le cursus d’une création , une part est laissée à l’inconscient , à des souvenirs enfouis , des flashs , des traces laissées sur la rétine d’autres regards qu’on a croisé subreptivement , des gens , des choses , une ménagerie de formes et de sensations , des rires d’enfants , des pleurs , un monde d’images enfouies qui ressurgit au gré d’une robe dont on aurait jamais pu imaginer qu’elle possède une part d’inconscient …
Quelquefois , à la façon d’un test de Rorsach , un tissu me renvoie à une personne ou une scène précise …
Il m’est arrivé de voir en un instant une jeune fille brune que je ne connaissait pas la minute d’avant , dans sa robe de mariée, mon problème étant alors de rattraper le dessin de la robe à peine imprimé dans mes pensées et ressemblant furieusement à celle que portait une des mannequins de mon père lors d’un défilé en 1971 … Alors oui , je répond à votre question , il m’a été difficile de me démarquer du travail de mon père , tout simplement parce qu’il m’a tout appris ( ou presque … ) et que , bien que nos styles soient différents , nous partageons la même passion pour les métiers d’art de la mode .
Capcampus
Comment se sont déroulés vos débuts dans la mode ?
Olivier LAPIDUS
Je débute toujours , Monsieur
Capcampus
Olivier, aujourd’hui vous êtes considéré comme un des pionniers de la Haute Couture du 21eme siècle. Cela vous fait-il réagir ?
Olivier LAPIDUS
Oui , et voici mes deux conclusions :
Ces deux remarques faites , je constate que certains de mes concepts ( et même brevets ) sont aujourd’hui up to date et sont en passe d’être industrialisés en Europe et dans d’autres pays ( je veux dire « chez nos concurrents « ) et cette situation m’amuse beaucoup .en France, nous avons une certaine paresse en terme de R&D lorsqu’il s’agit du textile ou de ses satellites .
Capcampus
Pourquoi avoir choisi de dessiner une collection de vêtements pour Carrefour ? En quoi cela vous tenait il à cœur ?
Olivier LAPIDUS
J’avais envie de créer une édition de « luxe a petit prix » ; certains de mes confrères de grand talent avaient ouvert la boite de pandore en décloisonnant les interdits d’images entre le monde des marques et la grande distribution . le style était donc entré dans l’arène du futur , celle du mass market jusqu’alors privé de rêve …
Après le style je voudrais tenter de faire entrer dans la grande distribution le luxe au sens de la qualité des produits : par exemple des costumes dont certaines finitions sont manuelles , et dont les tissus étaient jusqu’alors réservés à l’élite de la distribution ( pure laine super 150 ou encore satin de coton pour les draps dans la partie déco ) .
C’est une édition bien sur , un test grandeur nature au delà duquel j’espère une pérennité du concept . Ce n’est pas un « coup » mais une volonté de créer à terme un mouvement de fond vers la qualité pour le grand public et pour ma part la découverte du monde des hypers qui est fascinant .
Capcampus
Carrefour est un grand distributeur dont la clientèle est surtout peuplée par les classes moyennes et populaires. La Haute Couture est, quant à elle, surtout destinée aux classes huppées. Comment avez-vous fait pour évacuer l’incompatibilité entre ces deux mondes ?
Olivier LAPIDUS
Je suis un couturier libre, j’aime les robes du soirs qui s’adressent à quelques centaines de femmes dans le monde, j’aime aussi l’idée de mettre mon savoir faire au service d’un plus grand nombre : justement en apportant de la qualité et du rêve là ou l’on s’y attend peut être le moins . La génération de mon père a fait descendre la mode dans la rue , moi je souhaite que la rue remonte , a petit prix mais avec une qualité supérieure .
Capcampus
S’allier à la grande distribution est un pari risqué pour un grand créateur ? N’avez-vous pas peur pour votre image ?
Olivier LAPIDUS
Tant que je crée des produits de grande qualité je n’ai pas peur pour mon image . dans le cas contraire , même si je vends avenue Montaigne , l’image est en danger . Allez voir mes produits avec des étudiants , regardez comment les vestes sont finies à l’intérieur , les pantalons , les cravates de soie faites par l’un des meilleurs tisseur et imprimeur italien … qui d’ailleurs fournit les beaux quartiers (…) les ceintures pour lesquelles le fabricant français a imprimé des motifs cachemire sur la partie caché , un luxe discret , le vrai luxe , celui qui ne se voit pas , le travail en quelque sorte , la partie artisanale de l’industrie .
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Vous avez déjà travaillé en collaboration avec d’autres grandes marques comme Lexus ou Pronuptia. Avez-vous certains critères ?
Olivier LAPIDUS
Lexus est une immense marque automobile , le symbole de la perfection japonaise ; il s’agissait pour Lexus de remettre les gants dans la boite à gant . Nous avons travaillé avec la société Lavabre-Cadet à Millau ; un mythe du gant … Et ce fut un vrai bonheur que de mettre au point une collection entière de gants de conduite qui n’avaient pas retrouvé leur place dans la fameuse boite depuis … les années 1900 !
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Vous faites un métier qui nécessite un renouveau constant. Quelles sont vos sources d’inspirations ?
Olivier LAPIDUS
J’aime bien le mot « source » devant « inspiration » : c’est cela , une forme un peu liquide , parfois transparente ( pas d’idée … ) ou bouillonnante ( un flash , une inspiration soudaine ) : c’est ainsi , il n’y a pas de règle(s) , cela relève de l’écriture automatique et aussi du métier qui nous aide lorsqu’on a tout oublié … bien sur il faut habiller l’époque , c’est à dire surfer sur le net des images que nous renvoie nos voyages , nos rencontres , la rue et son cortège de bonnes idées , le mauvais ou le bon goût ( son cousin) , encore internet , une sculpture de Calder croisée on ne sait plus ou , plexus sexus ou nexus , les trois peut être , tout et rien inspirent … la vie est une inspiration . C’est après que ça se complique .
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Y’a-t-il des grands couturiers que vous admirez tout particulièrement ?
Olivier LAPIDUS
POIRET , BALENCIAGA , GIVENCHY , SAINT LAURENT , LACROIX , KARL LAGERFELD , PACO , ET D’AUTRES … ET BIEN SUR UN CERTAIN TED LAPIDUS QUI , AVEC MONSIEUR CARDIN ET QUELQUES AUTRES , INVENTERENT LA CONFECTION QUI DEVINT LE PRET A PORTER .
Capcampus
Avez-vous déjà eu l’envie de travailler en collaboration avec certains d’entre eux ?
Olivier LAPIDUS
Vous savez , l’ego et les couleurs …
Capcampus
Comment s’annonce l’année 2007 pour vous ?
Olivier LAPIDUS
Prochaine …
Capcampus
Quelle formation avez vous suivi pour exercer ce métier ?
Olivier LAPIDUS
J’étais en hypokhâgne … Je pensais que c’était normal . J’ai commencé à faire des robes en singeant mes parents et de fil en aiguille c’est devenu mon métier … Je suis passé par deux écoles de mode : l’une , absolument charmante et lumineuse, à gauche au milieu de la petite impasse de l’astrolabe , le cours fleuri Delaporte . Le premier jour , j’ai frappé à la porte , une jeune fille blonde m’a ouvert un verre de champagne à la main : elle venait de gagner un prix de mode et mes premiers croquis ont été faits sous sa plume : ne sachant alors dessiner , je lui ai décris les modèles que j’avais dans la tête … J’y ai croisé des professeurs extraordinaires et passionnés … Aujourd’hui cette école est encore familiale et j’y retourne la semaine prochaine pour intervenir sur le thème « imaginer une collection de luxe accessible : quels sont les points d’ancrage perceptibles du luxe ? »
Ensuite je suis passé par l’ école de la rue saint roch , la chambre syndicale de la couture parisienne … J’y rencontre la directrice , madame Saurat , nous parlons longuement de la pluie , du beau temps et de la nécessité de gérer les embus afin de maîtriser la tête de manche … Madame Saurat me consacre alors le mois de ses vacances pour un cours condensé qui sera la base de mon métier , les essentiels dont encore aujourd’hui j’utilise les principes … et ce fut le point de départ d’une longue amitié et , détail amusant , pour compenser mon retard ( j’ai fait tout le cursus en un an ) j’avais les clefs de l’école et je venait la nuit avec l’odeur de la percale pour moi tout seul et les fantômes des toiles des élèves sur leur Stockman … pas mal comme formation .
Capcampus
Avez vous une devise ?
Olivier LAPIDUS
L’euro .
Capcampus
Quel a été votre pire souvenir à titre professionnel ?
Olivier LAPIDUS
D’une façon générale les lendemains de défilé(s) sont cruels .
Capcampus
Et le meilleur !?
Olivier LAPIDUS
Les artisans , brodeurs , dentellières , plumassiers , passementières , les métiers d’art de la mode .
Capcampus
Un dernier mot à nos lecteurs
Olivier LAPIDUS
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