Un candide en Terre Sainte : un livre de Régis Debray aux éditions Gallimard

Carnet de route dans le Proche-Orient d'aujourd'hui

Publié le 29 décembre 2008

Aller sur les pas de Jésus, non pas en pèlerin qui veut se transporter deux mille ans en arrière pour revivifier sa foi et se retrouver lui-même, ni en touriste, mais pour voir « quel goût a, sur place, l’Evangile aujourd’hui » dans ces contrées que le Christ a parcourues « sans visa ni carte d’identité » et qui sont de nos jours hérissées de murs et de barbelés. Tel est l’objectif que s’est assigné notre médiologue qui se présente ici comme quelqu’un qui « n’a pas d’autre religion que l’étude des religions ».


Force est de dire qu’au terme des 456 pages de ce brillant carnet de route, le lecteur ne peut que reconnaître la réussite de ce pari qui n’était pas gagné d’avance. Certes Régis Debray a bénéficié, tout au long de son itinéraire de l’aide, voire de l’escorte d’une pléiade de personnalités de tous bords, diplomates, personnels des services culturels français, religieux de toutes obédiences, coopérants, universitaires qui lui ont facilité l’accès aux lieux et aux hommes. Mais le superbe résultat de l’entreprise est dû essentiellement à la perspicacité et à l’intelligence de l’auteur dont l’écriture allègre n’est exempte ni d’humour ni de subtiles références culturelles.


Les trente-quatre courts chapitres de ce carnet de route mêlent aux tableaux saisissants des lieux de cette Terre sainte « décousue, mosaïque en lambeaux qui s’ignorent les uns les autres […] endroit où les humains de sept à soixante dix sept ans s’acharnent à mourir et à tuer pour une fantasmagorie», des rencontres avec des personnes le plus souvent hors normes, des réflexions et des méditations sur « les changements qu’apporte le monde aux idées qui ont changé le monde ».


Voici quelques exemples.

Jérusalem, la ville trois fois sainte, ville cloisonnée où s’enchevêtrent les lieux de culte, où cloches chrétiennes des églises et cassettes musulmanes des minarets se font continuellement « la guéguerre des décibels […], véritable camp retranché où le talon haut, le décolleté et le bijou n’ont pas plus le droit de cité à l’est qu’à l’ouest » et qui « se découvre à un regard froid comme une foire industrielle de la clôture. Le visiteur y trouvera ce qui se fait de mieux en fait de palissade, muret, fossé, herse, porte métallique, vitre blindée, cage, tranchée, barrière, chicanes de ciment, casemate, portique (avec ou sans prothèses électroniques, type censeur, caméra, micro au choix) ». En somme « le maximum de haine dans le minimum d’espace ».


Bethléem où, comme dans le reste de la région, « chaque communauté, chaque secte, chaque sous-faction a son trousseau de clés à la ceinture qu’elle ne partagera pour rien au monde avec sa voisine », où « la basilique de la Nativité est un dédale de portillons ouverts à certains moines, fermés à d’autres ». Plutôt que les clés du Royaume, on trouve ici le royaume des clés.


Tel Aviv, en revanche, « Miami chez les Bédouins », où « les quartiers russes fleurent bon Odessa ; la vie nocturne étonnante Barcelone ; et le front de mer, la Promenade des Anglais. Un halo de Nouveau Monde consommateur, nonchalant, voué au jogging et au high-tech. »


Quant au Jourdain, à Béthanie où Jean baptisait, là où le visiteur s’attend à voir une eau cristalline et abondante, des berges de lauriers-roses, de tamaris et de saules, il parcourt un terrain vague semé d’épineux et envahi de nuées de mouches avant de découvrir « au ras du pied, un tout-à-l’égout paresseux et apparemment peu profond, entre caca et café au lait ».


C’est pourtant sur cette terre de ségrégation que notre voyageur fait de belles rencontres au cours desquelles s’ébauchent des portraits et s’engagent des dialogues qui, mieux que de savants traités, font comprendre au lecteur l’inextricable situation dans laquelle elle est engluée.


Ainsi, ce curé de Nazareth qui décline ainsi son identité : « Je suis arabe, de culture musulmane, de religion chrétienne, de mémoire byzantine, et dans un milieu juif. Je suis tout cela à la fois. Je suis l’histoire de cette région depuis trois mille ans. ». Ou encore cet « ami israélien » qui explique pourquoi le « moment propice pour se faire exploser » est le matin car « pour passer le soir à l’antenne, le kamikaze doit laisser le temps qu’il faut pour le montage et le commentaire […] Et puis, le matin, on a pris sa douche, on est propre, on peut monter retrouver les quarante houris en sentant l’after-shave ». Ainsi faut-il éviter de prendre le bus avant midi ! Ou le vieux frère dominicain Marcel Dubois âgé de quatre-vingt-six ans, malade, qui fut jadis, couvert de médailles, « la coqueluche du Tout-Jérusalem, le « fer de lance du dialogue judéo-chrétien » et qui, un jour, dialoguant avec son chauffeur de taxi palestinien dont il va rencontrer la famille, découvre « la détresse de gens traités en intrus dans un pays qu’ils habitent depuis des siècles », s’installe auprès d’eux et finit lui « l’ami des Arabes, par devenir un marginal aux limites de l’infréquentable, sinon de l’indignité civique ». Et bien d’autres encore…


« J’ai simplement cherché à savoir, non, à regarder et à écouter comment les hommes vivent ce qu’ils croient et quels changements apporte le monde aux idées qui ont changé le monde. » écrit Régis Debray. Pari brillamment réussi.


  • Titre : Un candide en Terre sainte
  • Auteur : Régis Debray
  • Editeur : Gallimard
  • Date : 2008
  • Nombre de pages : 454