Voici un livre qui a déjà suscité et qui suscitera encore, à n'en pas douter, des réactions contradictoires. Pour ses détracteurs, l'auteur, journaliste, essayiste et réalisatrice, diplômée de la prestigieuse London School of Economics, fait preuve d'une grande partialité voire d'une méconnaissance totale des problèmes dont elle traite. Pour ses laudateurs, au contraire, elle conduit ici une enquête remarquablement documentée sur « la montée d'un capitalisme du désastre ».
Quoi qu'il en soit, cet imposant volume de 670 pages ne peut laisser le lecteur indifférent, dans la mesure où, écrit en 1977, il est en quelque sorte prémonitoire de la crise que le monde connaît actuellement et amène chacun à s'interroger sur les enjeux du temps présent et à venir .
Partant du propos tenu par un congressman républicain, Richard Baker au lendemain du cyclone Katrina « Nous avons enfin nettoyé les logements sociaux de La Nouvelle- Orléans. Dieu a réussi là où nous avions échoué » relayé par le point de vue similaire exprimé par Joseph Canizaro, l'un des promoteurs immobiliers les plus riches de la ville : « Nous disposons maintenant d'une page blanche pour tout recommencer depuis le début. De superbes occasions se présentent à nous », l'auteur se lance dans un réquisitoire sans concession contre les idées que Milton Friedman, le père de l'ultralibéralisme développait et enseignait depuis les années soixante à Chicago.
Ces idées n'ont cessé de nourrir la croisade que les Chicago Boys ont menée, de l'Amérique latine du temps des dictatures (le Chili de Pinochet, premier laboratoire de l'école de Chicago, l'Argentine de Videla, le Brésil de Vargas, la Bolivie de Banzer...) jusqu'à l'Irak d'aujourd'hui, en passant par l'Indonésie de Suharto, la Russie des années Eltsine, l'Afrique du sud post-aparthied, et qui repose sur le théorie du Shock and Awe (Choc et Effroi). Qu'il s'agisse de coups d'état sanglants comme celui qui mit fin à l'expérience du socialisme démocratique d'Allende au Chili, de guerres comme celle que mènent les Etats-Unis en Irak, ou de catastrophes naturelles (Katrina, le tsunami au Sri-Lanka,), l'exploitation de ces désastres est extrêmement rentable. Rien ne vaut une bonne catastrophe, un véritable bouleversement de la société pour ouvrir de nouveaux territoires d'immenses profits aux multinationales comme Halliburton ou Blackwater liées à des hommes politiques très influents tels que, de nos jours, D. Rumsfeld ou D. Cheney.
L'état de choc provoqué par ces désastres est comparé par l'auteur aux résultats de la méthode de privation sensorielle utilisée dans la torture afin de briser la résistance physique et psychique des détenus torturés. Sans tomber dans le piège des délires de la théorie du complot ( le 11 septembre 2001 préparé par le gouvernement américain comme prétexte pour attaquer l'Irak ou les digues de la Nouvelle-Orléans dynamitées pour noyer les quartiers noirs au moment de Katrina) Naomi Klein montre que les désastres provoqués ou naturels laissant les gens anéantis et faisant table rase de l'existant, les capitalistes du désastre peuvent alors intervenir sans délai pour imposer "la thérapie de choc" qui au moyen de la privatisation et la déréglementation, aboutit à la collusion entre une petite élite affairiste et un gouvernement de droite afin d'effectuer des changements rapides et irréversibles en leur faveur.
Le livre se clôt sur une note d'espoir. Selon l'auteur, la "croisade" des Chicago Boys, rencontre sur sa route des résistances de plus en plus grandes de la part de communautés, voire de populations entières, s'organisent pour contrecarrer la théorie du "Shock and Awe".
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