Le mot-clé du titre « fraternité » se décline, tout au long de ce petit « traité de philosophie de terrain », en un champ lexical abondant : « connivence », « confiance », « convivialité », « culture commune », « partage », « relations humaines », « entraide », « accueil », « protection », « liens », termes qui reviennent au fil des pages et qui unissent dans un engagement mutuel entraînant à sortir de soi pour vivre avec les autres et la société et procurant joie et liberté.
Même dans les tâches les plus humbles, l'espoir d'une relation à l'autre subsiste car « nous sommes fabriqués comme ça : des êtres de relation, profondément empathiques, engagés avec et pour les autres » (p.9). Cet engagement libre et non imposé qui procure la joie de vivre, est contredit de nos jours par le pessimisme et la tristesse dans lesquels, si l'on en croit nombre d'enquêtes, semblent, à la différence de sociétés beaucoup moins riches, se complaire les Français et qui proviennent moins de difficultés économiques ou d'un sentiment d'insécurité que d'un manque d'engagement dans une représentation positive de la fraternité. C'est parce que le tissu relationnel s'appauvrit que notre société s'affaisse.
Cet engagement doit se vivre d'abord dans des relations de proximité, inscrites dans le quotidien où s'expérimentent sollicitude, débat, voire tensions, jeux d'alliances, de pouvoir et de réconciliation. D'où le plaidoyer pour la création d' « équipes citoyennes », car un engagement ne peut se vivre dans l'isolement, mais doit s'organiser dans des projets communs, au sein de collectivités.
On sent, à travers ces pages, la force de l'engagement de terrain de l'auteur qui durant de longues années a été très actif, en banlieue parisienne au sein d'Emmaüs puis des Petits Frères des Pauvres, pour remédier à l'isolement social des personnes âgées, des handicapés, des pauvres, qui conduit à une sorte de culpabilité et de repli oppressant sur soi. L'engagement ainsi conçu, libre et exigeant un effort, participe à la lutte contre la dépression sociale et, en même temps, donne sens à toute une vie. « S'engager emmène à vivre d'une utopie, celle de croire en la transformation sociale à venir » (p.28).
Aller vers ceux qui vivent autrement, rejoindre ceux que l'on ne connaît pas, exige qu'on laisse de côté, même si c'est parfois difficile, la question du mérite et qu'on ne retienne que celle du besoin. Peu importe que certains des oubliés de la société soient les artisans de leur propre malheur. La justice sociale doit n'évaluer que le besoin pour protéger les citoyens de l'isolement social et « s'engager à faire de la fraternité une inspiration majeure de toutes les politiques publiques » (p. 89). Face aux accidents de la vie qui conduisent à une « mort sociale » seuls valent le maintien des relations, des ancrages proches, le soutien de communautés d'entraide qui évitent le sentiment de n'avoir plus aucune utilité sociale. Des exemples concrets et modestes de cet engagement vécu par l'auteur sont donnés, à intervalles réguliers, écrits en italiques, dans le texte, pour illustrer l'engagement dans une fraternité simple (pages 48-50, 54-56, 61-65, 93-101).
La propagation des initiatives collectives autour de projets d'intégration est bien plus efficace pour lutter contre les risques de dérives communautaristes que la répression et la « karchérisation » des « racailles » des quartiers qui aboutissent à l'inverse de l'effet recherché (voir quelques exemples pages 60-64). L'auteur fait la même analyse pour éviter l'émergence de religions hégémoniques et le retour des tentatives théocratiques (p.84). De même il refuse le retour, souhaité par certains, à des identités historiques figées, stables, enserrées dans des frontières étanches et vues comme un enfermement sociétal, un repli dicté par la peur.
Loin de céder au pessimisme face à la montée, dans nos sociétés occidentales, des fondamentalismes et des théories de repli identitaire, il plaide, comme source de l'inspiration du monde à venir, en faveur de la fraternité, ce troisième terme, souvent oublié, de la devise de notre République .
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