Manque de mixité dans les filières scientifiques

Quel est le rôle des algorithmes ?

Publié le 16 juillet 2018

Alors que la présence des femmes dans l'enseignement supérieur a augmenté au fil des années dans les pays de l'OCDE, le nombre de femmes inscrites dans les programmes d'enseignement en STEM[1] continue d'être nettement inférieur au nombre d'hommes (OCDE, 2017).

Un résultat qui s'explique dès l'orientation au secondaire (retour sur quelques chiffres)...

Les filles majoritaires dans les filières littéraires et en sciences humaines, restent sous-représentées dans les filières scientifiques et techniques. En effet, en France, à la rentrée 2016, les filles en seconde général et technologique (GT) représentaient seulement 17% des effectifs en Sciences de l'Ingénieur [2]. Cette tendance se poursuit, rendant difficile une parité au sein des filières dans l'enseignement supérieur. Entre 1994 et 2016, la part des filles en terminales dans les filières scientifiques (S, STI2D, STL) est passée de 33% à 41,3%, soit une augmentation de 8,3 points en pourcentage en 22 ans. Les filles représentent 46,5% des effectifs de terminales en filières scientifiques en 2016. Seulement 3% d'entre elles et 18% des garçons en terminales scientifiques choisissent Science de l'Ingénieur comme enseignement de spécialité et ces chiffres sont respectivement de 5% et 10% pour ceux qui choisissent l'enseignement Informatique et Science numérique. Enfin, après le bac, les filles représentent seulement 27% des effectifs en formations d'ingénieurs et ce chiffre baisse encore dans les formations spécialisées en informatique (MENESR, 2018).

... mais ne trouve pas de justification à travers la réussite du baccalauréat.

Une orientation paradoxale quand on regarde les résultats au baccalauréat. Parmi les filles, 93% d'entre elles qui se sont présentées au baccalauréat général scientifique l'ont obtenu contre 90% pour les garçons. Enfin, 42% des filles contre 35% des garçons ont été admis avec une mention « bien » ou « très bien », (MENESR, 2018).

Est-ce que les réseaux sociaux peuvent réduire ou accélérer ces différences ?
Un groupe de chercheurs[3] dont Clara Jean, ingénieur R&D à l'école d'informatique Epitech et étudiante en doctorat en Sciences Economiques ont mené une étude (financée par l'association Pascaline) afin d'étudier le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion de l'information concernant les formations postbac. Ainsi, ils ont conduit au cours de l'année 2017, une campagne publicitaire pour une école d'informatique sur un réseau social pendant 14 jours, du 12 au 26 mars 2017, période correspondant à la saisie des choix d'orientation post secondaires sur la plateforme APB par les lycéens.

Sur toute la France, ils ont ciblé les jeunes entre 16 et 19 ans, filles et garçons via la réalisation simultanée de 101 publicités, soit une publicité pour chaque lycée ciblé. À travers cette expérimentation, ils ont eu recours à une procédure de randomisation des lycées visant à diviser les établissements en groupes de traitement et de contrôle afin de comparer les résultats entre ces groupes[4].

Les lycées dans le groupe de contrôle avaient pour description « 100% d'insertion professionnelle, 41 400 euros de salaire annuel à la sortie », alors que les lycées dans le groupe de traitement avaient « 100% d'insertion professionnelle, 41 400 euros de salaire annuel à la sortie pour les femmes ».

L'objectif de ce dispositif étant d'étudier le comportement de l'algorithme compte tenu du contrefactuel implémenté.

Résultat de l'étude : moins d'affichages pour les filles mais qui cliquent davantage sur la publicité

Les résultats obtenus sont doubles.

  1. Les filles ont davantage cliqué sur la publicité bien qu'elles aient reçu significativement moins d'impressions[5] que les garçons. Un résultat surprenant lorsque l'on constate qu'il n'existe pas de différence de prix dans la distribution de la publicité entre filles et garçons.
  2. La mise en place du traitement s'est conclue par un moindre affichage de la publicité pour l'ensemble des individus, ne suggérant pas une diffusion plus importante auprès des filles comme attendue. Nous identifions ici une forme de reproduction des stéréotypes en ligne où les garçons sont davantage associés aux écoles d'ingénieurs ce qui n'est pas le cas pour les filles.

Face aux problématiques que peuvent soulever les algorithmes de plateformes et pour favoriser la mixité, Epitech, l'école de l'innovation et de l'expertise informatique, a complété son équipe au sein de son hub d'innovation. Parmi ces membres, elle a récemment recruté Clara Jean pour qu'elle puisse travailler sur l'innovation responsable via des sujets qui concernent directement les développeurs en informatique et l'enjeu de mixité dans le numérique. Epitech a cette volonté d'inciter ses étudiants à réfléchir à des solutions technologiques répondant à des problématiques sociétales.

Références :

MENESR (2018), « Filles et garçons sur le chemin de l'égalité de l'école à l'enseignement supérieur 2018 », Ministère de l'Éducation nationale, Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Paris.

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2018/80/0/depp-ni-2018-filles-et-garcons_906800.pdf

OECD (2017), « Going Digital: The Future of Work for Women, Policy Brief on The Future of Work», OECD Publishing, Paris.

http://www.oecd.org/employment/Going-Digitalthe-Future-of-Work-for-Women.pdf.

Cecere , G., Jean, Le Guel, F., C. Manant, M. (2018), « STEM and Teens: An algorithm bias on a social media », SSRN working paper.

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3176168