I want you est un album constitué de reprises du titre "I Want you", à l'origine interprétées par des artistes aussi variés que Dean Martin, Kiss, Bob Dylan, Tom Waits ou encore Elvis Costello et ici interprétées par le groupe "The Wantones".
Derrière ce nom des musiciens et artistes que vous connaissez : Jp Nataf, Albin de la Simone, Bertrand Bonello, Pascal Colomb, Bernard Viguié, Harry Vederci, Philippe Entressangle, Christopher Board, John Christopher Jacq + Wantones guest : Julie Gasnier.
Lorsque l’effet papillon se conjugue avec une patience de fourmi, certaines petites idées sans importance conduisent parfois à de grandes aventures. Celle des Wantones nous ramène à la fin du siècle dernier, alors que Les Innocents – groupe pop français exemplaire – cherchent à combler la case vide d’une face B de single. Bertrand Bonello, musicien et cinéaste ami du groupe qui vient de réaliser son premier long-métrage, Quelque chose d’organique, leur soumet quelque chose d’orgasmique : reprendre un chapelet de chansons ayant pour titre I Want You. Les premières qui viennent à l’esprit sont signées Dylan, Beatles ou Elvis Costello, pas vraiment des demi-portions du songwriting. L’idée, finalement non retenue, n’aura toutefois pas germé pour rien. A la même époque, Bonello présente à J.P Nataf, chanteur des Innocents en instance d’embarquer pour une croisière solo, quelqu’un dont leurs mémoires de mélomanes se souviennent avec ardeur : un dénommé Kim Fahy. En 1991, sous le nom fritzlangien The Mabuses, cet anglais à la prestance de dandy publia un premier album chez Rough Trade, salué par la critique comme la preuve irréfutable que Syd Barrett était toujours en vie, ou tout du moins que son génie s’en trouvait ici brillamment revitalisé. Eclatante promesse malheureusement non tenue – malgré un second album, The Melbourne Method en 94 – The Mabuses et Fahy avaient disparu des radars avec la même énigmatique soudaineté que le célèbre retraité de Cambridge. En réalité, Fahy vivait à New York mais venait fréquemment à Paris, et la connexion Bonello/Nataf – fans de la première heure – donnera une nouvel élan non prémédité à sa carrière.
Au départ, J.P et Kim discutent des nuits entières, et les sujets ne manquent pas, peuplés de disques, de films, de livres, de cigarettes et d’idées que ces jumeaux qui s’ignoraient échangent avec une même exaltation. Puis arrive ce jour, où les ayant sans doute tous épuisés, ils décident de passer aux travaux pratiques et de mettre en musique leur endurante complicité. Bonello, qui ne se tient jamais loin et qui est plutôt du genre obstiné, réactive l’idée I Want You. On est en 2001, Le Pornographe vient de sortir sur les écrans, Les Innocents sont déjà une histoire ancienne et Nataf n’a pas encore trouvé sa formule perso idéale. L’exercice toujours ludique des reprises, avec ici la contrainte de ne reprendre que des I Want You, constitue à l’évidence une plaisante récréation en même temps qu’un laboratoire humain enrichissant pour des musiciens qui cherchent à s’apprivoiser les uns les autres. Quelques amis instrumentistes entrent dans la ronde, parmi lesquels un autre revenant, Christophe J. – havrais anglophile, auteur du mythique Sons of Waterloo en 83 -, et cette belle équipe se retrouve plusieurs jours durant au studio Garage pour revisiter quelques-unes des chansons piochées dans la discothèque des uns et la mémoires des autres, où les I Want You se ramassent à la pelle. Elles sont généralement plus troubles que les I Love You, moins suppliciantes que les I Need You, elles indiquent tout à la fois un désir amoureux et charnel, l’amour fou et l’amour fauve, la frustration comme la prédation. Et puis, bon, il fallait bien partir de quelque chose. Selon un rituel immuable, le collectif de musiciens désireux se retrouve en studio à 14h sans feuille de route en dehors qu’une grille d’accord et des paroles d’une chanson qu’ils n’ont parfois même pas pris la peine de réécouter. Le but à atteindre, quitte à y passer la nuit, est d’en ressortir avec un morceau terminé. Aux longues (et parfois laborieuses) séances d’improvisation, comme des préliminaires amoureux tout à fait de circonstance, l’acte est généralement conclu vers les 4 heures du matin.
Deux vagues d’enregistrements auront lieu, entre temps d’autres participants viennent s’y agréger – dont l’excellent Albin de La Simone et son fidèle Helmut, le seul synthé avec une âme d’enfant turbulent – et l’affaire est vite bouclée. Les Beatles ont disparu de la photo mais Costello et Dylan sont toujours-là, rejoints par Tom Waits, Christine Perfect ou Debbie Harry, laquelle est sacrément secouée par une version à faire passer les Buzzcocks pour du Gabriel Fauré. Fouillant dans les tréfonds des bacs à soldes ou d’une jeunesse inavouable, les protagonistes de ce hold-up ressortent même un vieux Kiss 76 (sur l’album Rock’n’roll over) qu’ils remaquillent avec les pinceaux de Captain Beefheart. Ce grand farceur de Dean Martin leur joue un tour d’outre-tombe, puisque la chanson de son répertoire qu’ils croient intitulée I Want You porte en fait le titre Someday (You’ll want me to want you). Mais chaque règle a ses exceptions. Dans cette galerie de célébrités, divers intrus finiront par se glisser. Tout d’abord le vénérable Chris Stamey, ancien leader des DB’s, éternel outsider de la power-pop américaine, qui n’avait sans doute jamais imaginé tel voisinage. Mais surtout, comme pour brouiller un peu mieux les pistes de ce projet déjà palpitant, ils y ont glissé des compositions originales et inédites, signées The Mabuses et Christophe J., qui sortent de leur hibernation prolongée pour l’occasion, ou encore Laurie Markovitch – collectif inventé par Bonello (Nataf, Mirwais…) pour assurer les BO des films de Bertrand. Il y a sept ans, une fois retombée l’euphorie de ces sessions amicales et fertiles en échanges les plus divers, personne ne songea vraiment à faire de ce projet un disque. Jipé Nataf embarqua la même équipe et se servit de la méthode éprouvée durant ces jours (et nuits) fastes pour la transposer à son propre travail, ce qui conduisit à son premier album solo, Plus de sucre, en 2004, réalisé dans le même contexte jubilatoire. Bertrand Bonello continua de faire des films, Albin de La Simone commença à publier des albums de chansons obliques et insoumises. Sur le premier, l’une d’entre elles, comme par hasard, s’intitulait Avant tout I want you, preuve que le projet avait laissé quelques traces. Kim Fahy se préparait à enregistrer le dernier Mabuses intitulé Mabused dont la sortie est prévue en France au mois d ‘avril. Christophe J. continua quant à lui de jouer le bel endormi. Jusqu’au jour où une bonne fée entreprit d’aller fouiller dans les bandes du Studio Garage pour retrouver celles de I Want You. Un mixage plus tard, un nom de groupe imaginé pour la circonstance, et cet album singulier voit enfin le jour, comme s’il avait cherché à pousser à l’extrême son postulat de départ, en se faisant si longtemps désirer. On le découvre avec le même enthousiasme qui a présidé à sa confection, saisi par la richesse et la radicalité, parfois, de ces relectures jamais scolaires, épaté par l’intensité et l’esprit joueur qui en émane. I Want You : refuser une telle invitation constituerait une impardonnable faute de goût.
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