Capcampus
Vous avez participé au développement de Publicis, groupe dans lequel vous avez travaillé pendant 15 ans, en occupant le poste de président de Publicis Dialog. Pouvez-vous nous parler de cette expérience?
Marc DRILLECH
Une expérience passionnante mais au fur et à mesure de la croissance de l’entreprise vous êtes amené, en tant que patron, à sacrifier ce qui fait ce métier, le conseil de grandes marques (j’ai eu la chance, de Renault à Nescafé, du ClubMed à Libé ou Free de travailler sur des diversités de cas), plus de missions de management, de contrôle budgétaire, qui sont nettement moins excitantes…
Capcampus
23 ans dans la publicité, ça use?
Marc DRILLECH
A vrai dire le contraire. D’une part cela vous préserve du conformisme et des habitudes car, telle une vigie, vous vous devez d’observer, de comprendre les mouvements de la société. D’autre part, devant de telles mutations, aussi rapides qu’importantes, vos clients annonceurs ont plus que jamais besoin de savoir que faire et ne vous épargnent pas votre temps et votre implication ainsi que votre capacité à inventer de nouvelles solutions.
Capcampus
Quelles sont les mutations que vous avez pu observer dans cet univers de la publicité qui fascine tant ?
Marc DRILLECH
J’ai connu trois périodes professionnelles qui représentent autant de changements voire de révolutions. Les années 80 ont été marquées par « l’âge d’or » de la publicité et du marketing. Tout semblait possible, facile. Les années 90 m’ont appris à piloter en période de crise, à constater que les grandes dynamiques se brisaient facilement face aux difficultés (en particulier celles des cadres dans les entreprises…). Les années 2000 sont vraiment celles d’Internet et de l’interactivité en général mais aussi, et elles le deviendront de plus en plus, celles de la conscience environnementaliste avec les contraintes et les impositions de changements au sein des entreprises et du marketing (et je crois que la majorité sous-estime encore dangereusement les futurs conflits, contestations, pressions, dans ces domaines).
Capcampus
Ce milieu est souvent décrit à la fois comme un sérail, et parfois comme un univers «d’hyper liberté». Quelles sont les clés pour pouvoir y pénétrer et y faire carrière?
Marc DRILLECH
Ce milieu n’est plus un sérail parce qu’il se transforme totalement. L’agence de publicité n’a plus le monopole du savoir et de la création. De multiples free-lances, intermédiaires, entreprises spécialisées occupent l’espace. De nombreux publicitaires dirigent maintenant le marketing des marques. Non, pour « rentrer dans le milieu » il est préférable de connaître des gens mais surtout de faire des stages, de comprendre avant même d’y pénétrer comment cela fonctionne, et surtout d’être curieux de tout. Il faut « maladivement » être ouvert aux idées et aux mouvements de la société.
Métiers et Carrières dans la pub !
Capcampus
Quel est le portrait robot du directeur artistique de l'agence de publicité de demain ?
Marc DRILLECH
Il ne sera plus un directeur artistique et l'agence de publicité ne sera plus ainsi nommée...Parce que je crois surtout que le devenir de ces entreprises tient en trois dimensions. La première nécessite des « calibres » stratégiques de haut niveau pour aider les entreprises à orchestrer, arbitrer, articuler l'ensemble des plans de communication. La seconde tient en la capacité d'inventivité, ce qui va au-delà de la création telle qu'elle est définie de manière conservatrice par les agences. Enfin, ce qui restera au-dessus de tout c'est la capacité à apporter aux entreprises des Idées fortes, uniques, rentables, durables, parce que l'exercice est davantage possible dans le cadre libre d'une entreprise de communication qu'au sein d'une entreprise. Aujourd'hui, la seule raison d'être des agences c'est d'être des « machines à Grandes idées » particulièrement performantes et/ou des conseils en marketing et communication de très haut niveau.
Capcampus
Et celui du chef de pub ou du responsable de compte ou de marque ?
Marc DRILLECH
Il ira dans deux sens opposés. D'une part il peut se paupériser et devenir davantage un agent de production qui suit les plannings, les opérations, les différents services et prestataires. Mais il peut également « monter en gamme », devenir plus important à mesure que les marques auront besoin de gens qui disposent d'une vision globale, d'une capacité à comprendre vers où mener la marque et d'une inventivité qui permet de déterminer les outils les plus rentables, les plus distinctifs, mais également les plus durables dans le temps.
Capcampus
Quel type de profil les agences recherchent-elles ?
Quelles sont les qualités requises ?
Marc DRILLECH
Curiosité, intelligence, sens du dialogue et du travail en équipe, hétéroclisme culturel (je préfère un candidat qui me dit s'intéresser à la Star Ac et au rap qu'un « bon élève » qui me déclare ne lire que l'Expansion, Les Echos et CB News). Il doit avant tout être un passionné pour son métier sans être aveugle sur les conséquences, sur les responsabilités, sur les devoirs du marketing et de la communication envers la société.
Capcampus
Est-ce un milieu où la parité homme / femme est une réalité ?
Marc DRILLECH
Je le crois quant aux talents et aux chances de progresser dans les entreprises. Je suis plus sceptique quand j'observe les directions des agences. J'ai le sentiment d'une égalité des chances jusqu'à 80% de la hiérarchie et plus quelque chose fonctionne nettement moins. L'univers de a communication demande une forte intuition, un sens du relationnel important, un haut niveau de compréhension des gens et des tendances...Il n'est pas étonnant qu'il y ait autant voire plus de femmes que d'hommes. Pourtant, quand on observe la situation des vingt premières agences on se situe davantage dans un étrange 20/80...qui élimine les femmes des Présidences et des Directions Générales (puisqu'elles devraient représenter au moins 50% de ces postes).
Capcampus
La colonisation de l'univers publicitaire par le média internet ne change-t'elle pas la donne quant aux compétences attendues des futures recrues des agences de pub?
Marc DRILLECH
Si parce que la place d'Internet deviendra de plus en plus centrale. Internet n'est pas un outil de publicité mais un vecteur majeur de communication, de commercialisation, de relation, de fidélisation. Il faudra donc être à la fois généraliste et spécialiste. En conséquence Internet et l'ensemble des activités qui y affèrent emploieront davantage de gens mais il faudra un niveau excellent dans toutes les grandes dimensions de l'outil pour y progresser fortement.
De la pub au groupe IONIS
Capcampus
Vous avez franchi la barrière pour passer du côté du client (un des vos anciens clients). Le Groupe IONIS, c’est plus fort que la pub côté passion et adrénaline ?
Marc DRILLECH
Ma situation est particulière parce que je connaissais bien ce groupe que je conseillais depuis plusieurs années. J’avais beaucoup d’admiration pour le travail de Marc Sellam. Je souhaitais depuis longtemps vivre une autre carrière et j’avais le sentiment « d’avoir fait le tour » de la « pub ». Enfin, depuis longtemps l’univers de l’enseignement supérieur m’attirait, ne serait-ce que parce qu’il me semblait comporter des disfonctionnements à la base d’une situation si innaceptable, celle de ces 20% et plus de jeunes qui sont sans emploi, fait tristement unique dans les pays d’Europe de l’Ouest.
Capcampus
Qu’est ce qui vous a poussé à quitter le groupe Publicis?
Marc DRILLECH
Au fond je n’ai pas quitté Publicis…je reste en excellentes relations avec le Groupe et avec Maurice Levy. Je voulais faire un autre métier car si j’avais souhaité continuer dans la publicité rien ne m’aurait fait quitter Publicis, la plus belle aventure française dans ce métier et l’une des plus grandes réussites internationales. Quittant la pub, je devais quitter Publicis.
Capcampus
Vous devez être redoutable en négociation avec les agences de pub quand vous négociez vos plans média?
Marc DRILLECH
Oui redoutable… mais je cherche aussi à les comprendre et surtout à ne pas me positionner dans des situations que je critiquais avec véhémence quand j’étais de l’autre côté.
Quelques conseils pour entrer dans le monde de la pub
Capcampus
Le Groupe IONIS propose-t’il des formations aux métiers de la création et de la communication?
Marc DRILLECH
Avec l’ISG, qui performe dans le domaine du marketing et de la communication tant dans son cycle Grande Ecoles en 3 ans que dans les domaines des Masteres et des MBA et avec l’ISEG qui compte près de 4500 élèves dans 7 villes de France, nous possédons deux belles « machines à former » des jeunes pour ces métiers. Les preuves ne manquent pas puisqu’on retrouve des anciens de nos écoles chez Publicis, TBWA, Mc. Cann, Hémisphère Droit, JWT, Euro-RSCG…
Avec E-Art Sup, école crée par le Groupe voilà à peine 5 ans, nous disposons d’un très bel outil de formation aux carrières de la création numérique, en particulier par le rapprochement opéré avec notre campus technologique…Nos élèves peuvent y croiser, en attendant d’?uvrer avec, des élèves de Epita ou de Epitech, deux très belles écoles reconnues dans le domaine informatique et des NTIC.
Enfin, avec Isefac, dans l’alternance ou les formations courtes, nous disposons d’une alternative de qualité pour des jeunes attirés par ces métiers mais qui n’envisagent pas un parcours classique en 5 ans.
Capcampus
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes attirés par une carrière dans l’univers de la publicité ?
Marc DRILLECH
D’accepter immédiatement de faire une triple transformation : ne plus parler de publicité seulement mais de communication ; ne pas se cantonner à la communication mais y intégrer une expertise en marketing ; ne pas forcément se spécialiser dans les domaines d’Internet et des outils interactifs mais de les considérer cependant comme des priorités parmi les priorités.
Marc Drillech, ENTRE NOUS ...
Capcampus
Quel est votre pire souvenir dans votre passé de publicitaire
Marc DRILLECH
Je ne vais pas vous étonner si je vous parle d'un échec en prospection pourtant c'est exactement cela...quelques semaines avant mon départ, sans doute ma dernière compétition. Nous avions fait un travail excellent pour le quotidien La Croix...Ils ont eu peur...Ils croyaient tout savoir...Ils ont choisi une campagne médiocre, mièvre, indolore. Nous avions fait une formidable campagne. Je me souviens parfaitement de cet échec (alors que l'enjeu était minime ne serait-ce que par la petite taille du budget) parce que j'ai appris après 23 ans de métier que nous n'étions effectivement pas les décideurs mais les prestataires...
Capcampus
Et le meilleur ?
Marc DRILLECH
Franchement j'ai eu beaucoup de bons souvenirs...Mais je dirai que le meilleur a duré près de 13 ans, le travail au quotidien à côté de Maurice Levy qui est sans doute l'un des meilleurs managers d'entreprise que compte ce pays. J'ai beaucoup appris...beaucoup. C'est un homme qui a su marier le professionnalisme, l'exigence permanente, avec un sens moral exceptionnel et un respect permanent des gens.
Capcampus
Avez-vous une devise dans la vie ?
Marc DRILLECH
Non pas vraiment mais je répète souvent que « rien n'est pire que ceux qui sont faibles avec les forts et forts avec les faibles »...Je suis resté très attaché à certaines valeurs..
Capcampus
Un dernier mot à nos lecteurs ?
Marc DRILLECH
Ne dites jamais que ce n'est pas possible tant que vous n'avez pas vraiment essayé...et ne croyez jamais celles ou ceux qui vous disent que maintenant c'est perdu. Des centaines d'étudiants des dites « très grandes écoles » ont fait des métiers médiocres et ont vécu des vies moyennes. Des milliers d'autodidactes ont vécu des vies passionnantes, comme des étudiants diplômés d'institutions moins prestigieuses. Votre vie ce n'est pas seulement ce que les autres vous laisseront en faire mais d'abord ce que vous déciderez d'en faire. Je le crois vraiment et c'est l'un de mes combats prioritaires dans un univers de l'enseignement supérieur français si conservateur, quelquefois terriblement réactionnaire, souvent faussement moderne.